La bataille de Badr
Histoire de la dernière révélation !
Le contenu qui suit n’est proposé qu’à titre purement indicatif et n’engage que son auteur. Pour plus d’informations, n’hésitez pas à vous rapprocher de votre mosquée locale.
Nous nous plaçons sous la protection d’Allah (Exalté soit-Il) pour la réussite de nos œuvres et demandons Son Pardon pour les erreurs émanant de nos âmes.
Fraternellement vôtre… Bilal Muezzin !
Résumé :
Les Musulmans, qui avaient été obligés de fuir la Mecque en y laissant tous leurs biens, décident de prendre d’assaut la caravane menée par Abu Sufyan. En représailles, les Mecquois lèvent une armée importante afin de démontrer leur puissance. Cependant, celle-ci revient sans dommages, rendant caduque toute notion de vengeance de grande envergure, malgré la mort d’un des accompagnants. Abu Jahl, ne voulant perdre l’occasion d’en découdre, insiste pour que le combat ait lieu. Le Prophète (paix et prière d’Allah sur lui), voyant que ses troupes sont en sous nombre, sollicite l’avis de tous avant d’engager le combat ou pas. Ces derniers lui réaffirment leur volonté de servir sa cause. Ainsi, le combat a lieu, malgré les négociations, la proposition des Musulmans de s’acquitter du prix du sang pour le mort et la réticence de certains chefs de clan Mecquois de combattre bon nombre de leurs proches convertis. Conscient de ce fait, le Prophète (paix et prière d’Allah sur lui) ordonne pour cela qu’on épargne tout Hachémite, al-Abbâs ibn Abd al-Muttalib ainsi que Abu al-Bakhtari ibn Hishâm qui sera finalement tué pour avoir refusé d’abandonner son frère d’arme, accentuant encore plus la tragédie d’un tel combat et l’infamie des criminels orgueilleux l’ayant provoqué dont Abu Jahl qui trouve la mort durant la bataille…
HISTOIRE :
Badr : la première bataille
Nous sommes arrivés à la seconde année de l’établissement du Prophète (saws) à Yathrib, désormais définitivement associée à l’Islam. On appelle maintenant cette ville Madînat ar-Rasûl, « la cité de l’Envoyé de Dieu», ou tout simplement Médine, la cité.
Les événements se sont précipités. L’affrontement entre l’expédition menée par ‘Abdullâh ibn Jahsh et une caravane de Quraysh s’est produit à la fin du mois de rajab (le septième du calendrier lunaire) de cette année. Le changement d’orientation de la prière a eu lieu deux ou trois semaines plus tard, au mois de sha’bân.
Au cours du mois suivant, celui de ramadan, va se produire un événement qui marquera un tournant dans l’histoire de l’Islam. Le Prophète (saws) apprit qu’une importante caravane commerciale, dont presque chaque famille de La Mecque possédait une part, retournait à La Mecque après un voyage commercial couronné de succès en Syrie. La caravane était menée par Abu Sufyân, un éminent notable de La Mecque, chef du clan des Umayyades.
Il ne faut pas oublier que lorsque les musulmans mecquois avaient émigré à Médine, ils avaient laissé à La Mecque presque tout ce qu’ils possédaient, et que les Quraysh s’étaient empressés de confisquer leurs biens. La caravane semblait donc présenter une excellente occasion d’obtenir réparation des pertes des musulmans. Le Prophète (saws) suggéra à ses compagnons : « Voilà une caravane des Quraysh avec une grande partie de leurs richesses. Si vous l’interceptez, Dieu vous la donnera peut-être en récompense. »
Il est clair que le Prophète (saws) n’ordonna pas aux musulmans de se mobiliser pour cette mission, car, dans ce cas, tout le monde y aurait participé. En l’occurrence, une troupe de 313 hommes accompagna le Prophète (saws). En outre, ils n’étaient pas complètement équipés pour un affrontement majeur avec l’ennemi. Le Prophète (saws) avait en tête un autre objectif que la réparation de pertes passées. Il voulait faire la preuve de l’incapacité des Quraysh à assurer la protection de leurs propres routes commerciales.
Cela ne manquerait pas de les ébranler et d’affaiblir leur réputation de principale tribu d’Arabie. Abu Sufyân, le chef de la caravane, était un homme habile. Il était conscient du danger que représentaient les musulmans de Médine. Il chercha donc à se renseigner sur les mouvements du Prophète (saws). Lorsqu’il apprit qu’une troupe musulmane était en route pour intercepter sa caravane, il prit deux mesures simultanées. Il chargea un messager nommé Damdam ibn Amr, de Ghifâr, de porter à La Mecque un message demandant des renforts aux Quraysh.
Il s’efforça également d’échapper au Prophète (saws) et à sa troupe. Arrivé à Badr, il se rendit compte que les musulmans étaient tout près de lui : il accéléra le pas et changea d’itinéraire, se dirigeant vers la côte, dans l’espoir d’éviter les musulmans.
- Un rêve annonçant un danger immédiat
Trois jours avant l’arrivée de Damdam à La Mecque, Âtika bint Abd al-Muttalib, la tante paternelle du Prophète (saws), eut un rêve significatif. Elle envoya chercher son frère al-Abbâs et lui dit qu’elle avait vu en rêve un homme monté sur un chameau venir à un endroit de La Mecque appelé al-Abtah où il s’était écrié, debout :
« Levez-vous, ô gens, et allez à votre mort dans trois jours. » Les gens s’étaient assemblés autour de lui et l’avaient suivi jusqu’à la Ka’ba, où il avait répété son avertissement. Puis il était parti à la hâte vers une montagne voisine appelée Abu Qubays, où il avait répété son avertissement pour la troisième fois. Puis l’homme avait ramassé une grosse pierre et l’avait jetée en bas de la montagne : la pierre s’était divisée en petits morceaux qui s’étaient dispersés dans toutes les maisons de La Mecque, sans exception.
Al-Abbâs dit à sa soeur que son rêve avait certainement un sens mais lui recommanda de le garder pour elle. Il le relata néanmoins à son proche ami al-Walîd ibn ‘Utba, qui à son tour le raconta à son père : l’histoire eut tôt fait de faire le tour de la ville. Le lendemain, al-Abbâs se rendit à la Ka’ba pour accomplir le tawâf. Abu Jahl le vit et lui demanda de venir parler avec lui quand il aurait terminé. Lorsque al-Abbâs rejoignit Abu Jahl et son groupe, Abu Jahl lui demanda : « Quand cette prophétesse est-elle apparue parmi vous ? » Al-Abbâs lui demanda ce qu’il voulait dire. Abu Jahl indiqua qu’il parlait du rêve de ‘Âtika, mais al-‘Abbâs fit semblant de ne pas en avoir connaissance.
Abu Jahl dit alors : « Vous, le clan de Abd al-Muttalib, cela ne vous a pas suffi de vous targuer d’avoir un prophète parmi vous. Vous prétendez maintenant avoir une prophétesse. Atika prétend que l’homme qu’elle a vu en rêve disait : « Levez vous dans trois jours » : eh bien, nous attendrons ces trois jours, et si rien ne se passe pour confirmer son rêve, nous ferons proclamer officiellement que vous êtes les plus grands menteurs de toute l’Arabie. »
Al-Abbâs ne répondit pas grand-chose, se contentant de nier encore que Atika ait fait le moindre rêve. Ce soir-là, toutes les femmes du clan de Abd al-Muttalib vinrent trouver al-Abbâs pour lui reprocher de ne pas avoir tenu tête plus fermement à Abu Jahl. Al-‘Abbâs s’en excusa et promit d’y remédier. Le troisième jour, al-‘Abbâs se rendit à la Maison Sacrée (la Ka’ba) dans l’espoir de provoquer Abu Jahl afin d’avoir l’occasion de lui répondre. Cependant, il le vit approcher de la porte lorsqu’il entendit Damdam crier.
Ce dernier était debout sur son chameau ; il avait entaillé le nez de son chameau et déchiré sa chemise pour indiquer la gravité du message qu’il apportait. Il criait de toutes ses forces :
C’est une tragédie ! Un désastre ! Vos biens avec Abu Sufyân sont attaqués par Muhammad et ses compagnons. Je ne crois pas que vous puissiez sauver la caravane. À l’aide ! À l’aide ! »
Un sentiment général de colère s’empara des Quraysh lorsqu’ils entendirent Damdam transmettre de manière aussi dramatique le message d’Abû Sufyân. À ce sentiment s’ajouta bientôt la détermination à mettre fin à la menace que faisaint peser sur leurs caravanes commerciales les musulmans de Médine. Tout le monde disait : «Muhammad pense-t-il que cette caravane est une proie facile, comme celle d’Ibn al-Hadramî ? Nous prouverons qu’il a tort. »
Les Quraysh mobilisèrent donc une importante armée, un millier d’hommes. Elle fut levée en très peu de temps. Tous les notables participèrent. Ceux qui ne pouvaient pas partir personnellement avec l’armée envoyèrent d’autres hommes à leur place. L’exemple d’Umayya ibn Khalaf, du clan de Jumah, montre clairement les pressions et les motifs qui poussaient tous les hommes d’honneur de Quraysh à se joindre à l’armée. Il avait pour ami Sa’d ibn Mu’âdh des ançâr.
Sa’d, en visite à la Mecque quelque temps avant tous ces événements, avait été l’hôte d’Umayya. Il avait informé ce dernier que le Prophète (saws) avait dit qu’il serait bientôt tué. Maintenant que les Quraysh se mobilisaient, se rappelant cette conversation, Umayya décida de rester à La Mecque. Apprenant son intention, l’un de ses amis du nom de ‘Uqba ibn Abî Mu’ayt vint le trouver avec un pot où brûlait de l’encens et lui dit : « Tu devrais respirer cela, car tu es une femme. »
Umayya répondit : « Sois maudit, toi et ce que tu as fait ! » Il se prépara alors et rejoignit l’armée. Abu Lahab, l’oncle du Prophète (saws) qui lui était si fermement opposé, décida de rester et envoya à sa place al-As ibn Hishâm. Ce dernier avait fait faillite et devait quatre cents dirhams à Abu Lahab : celui-ci lui proposa d’effacer sa dette s’il le remplaçait dans l’armée.
- Une démonstration de force
Lorsque l’armée de Quraysh se fut entièrement mobilisée et eut commencé à se mettre en route, un message arriva d’Abû Sufyân annonçant qu’il avait réussi à échapper à ses poursuivants et que la caravane était maintenant en sécurité : ses contribules pouvaient s’épargner la peine de partir défier les musulmans. La nouvelle fut reçue avec un soulagement évident. Nombreux étaient les Mecquois qui voulaient se démobiliser.
Abu Jahl eut toutefois le dernier mot : « Nous ne ferons pas demi-tour : nous irons jusqu’à Badr [où les Arabes tenaient une célébration annuelle] et nous y festoierons pendant trois jours. Nous tuerons des chameaux pour manger, nous nourrirons tous ceux qui voudront venir nous voir, nous boirons du vin en abondance et nous serons divertis par des chanteurs et des danseurs. Toute l’Arabie entendra parler de nous et nous craindra à jamais. »
Abu Jahl voulait ainsi prouver la force des Quraysh et leur capacité de se défendre et de protéger leurs caravanes. Il était manifestement conscient de l’avantage aussi bien militaire que psychologique qu’étaient en train de prendre les musulmans grâce à leurs précédentes confrontations avec les Quraysh. Il lui semblait donc nécessaire de renverser la tendance, de prendre une revanche et de préserver la réputation de principale tribu d’Arabie dont jouissaient jusqu’alors les Quraysh.
Pendant ce temps, le Prophète (saws) avançait à la tête de sa troupe de 313 hommes. Ils n’avaient pour montures que soixante-dix chameaux et deux chevaux. Ils montaient donc les chameaux à tour de rôle. Le Prophète (saws), Alî et Marthad al-Ghanawî se partageaient un chameau. Lorsque le tour du Prophète (saws) était terminé, ses deux compagnons tentaient de le persuader de rester sur le chameau tandis qu’ils continueraient à aller à pied. Il insistait pour marcher lui aussi en disant :
« Vous n’êtes pas plus capables de marcher que moi, et je n’ai pas moins besoin que vous d’une plus grande récompense divine. » Abu Bakr, ‘Umar et Abd ar-Rahmân ibn Awf se partageaient un chameau, tout comme Hamza ibn Abd al-Muttalib, Zayd ibn Hâritha.
Le Prophète (saws) et ses compagnons arrivèrent tout près de Badr, qui se trouvait sur la route des caravanes vers La Mecque. En quittant Médine, le Prophète (saws) avait organisé ses hommes de manière à ce qu’ils puissent faire face à toutes les éventualités et affronter une attaque surprise. Après tout, ils avançaient en territoire ennemi. Il avait nommé un groupe d’éclaireurs sous le commandement d’az-Zubayr ibn al-Awwâm, tandis qu’un autre groupe commandé par Qays ibn Abî Sa’sa’a assurait les arrières.
Les musulmans possédaient un étendard principal, de couleur blanche, porté par Mus’ab ibn ‘Umayr et deux autres, de couleur noire, portés par Alî et un homme des ansâr. Ils n’avançaient pas en rangs serrés ni groupés, car ils étaient en terrain découvert. Leur formation était ouverte de sorte qu’ils pouvaient se déplacer rapidement et se préserver de toute surprise. Pensant que la caravane d’Abû Sufyân serait encore dans les parages, le Prophète (saws) envoya deux de ses compagnons en quête de renseignements. La troupe les suivait de loin.
Au coucher du soleil, le Prophète (saws) et ses compagnons campèrent tout près de Badr. Il envoya en éclaireurs plusieurs de ses compagnons, dont trois qui étaient particulièrement importants : Alî, az-Zubayr et Sa’d ibn Abî Waqqâs. Il leur demanda d’essayer d’établir la position de la caravane et de rassembler toutes les informations possibles. Ils revinrent avec deux garçons qui cherchaient de l’eau pour l’armée de Quraysh. Les compagnons du Prophète (saws) avaient cru à tort qu’ils appartenaient à la caravane d’Abû Sufyân.
Lorsque le Prophète (saws) questionna les deux garçons, il devint clair qu’ils appartenaient à l’armée de Quraysh. D’après les informations qu’ils lui donnèrent, le Prophète comprit que cette armée était trois fois plus nombreuse que ses propres troupes. Il était sûr également qu’elle était bien mieux équipée. En effet, les musulmans n’étaient pas partis de Médine dans l’intention de s’engager dans une bataille importante, comme les Quraysh. Ils espéraient seulement intercepter une caravane.
Il apprit en outre que de nombreux notables de La Mecque se trouvaient dans l’armée. Il se tourna vers ses compagnons et leur dit : « La Mecque vous a envoyé ses plus chers enfants. »
- Combattre ou ne pas combattre
Le Prophète (saws) voyait que la caravane qu’il était parti intercepter lui avait échappé. Une armée importante, trois fois plus nombreuse que ses propres troupes et beaucoup mieux équipée, s’était mise en route dans le but d’effectuer une démonstration de force. Il se trouvait donc confronté à une situation radicalement nouvelle. Le Prophète (saws) éprouva le besoin de consulter ses hommes avant de prendre une quelconque décision.
Il leur exposa l’affaire en expliquant qu’une confrontation était inévitable pour empêcher les Quraysh de remporter une victoire morale. Le Prophète (saws) voulait ainsi s’assurer que ses compagnons étaient prêts à combattre. Abu Bakr fut le premier à prendre la parole. Il confirma au Prophète (saws) que tous étaient fermement derrière lui. ‘Umar donna une réponse semblable. Ce fut ensuite le tour d’al-Miqdâd ibn Amr, qui dit :
Envoyé de Dieu ! Fais donc ce qui te paraîtra le mieux. Nous ne te dirons jamais ce qu’ont dit les Israélites à Moïse : « Va avec ton Seigneur combattre l’ennemi tandis que nous restons en arrière ! » Nous te dirons plutôt: « Va avec ton Seigneur combattre l’ennemi, et nous combattrons à tes côtés. » Par Celui qui t’a envoyé apporter la Vérité, si tu nous demandes d’avancer avec toi jusqu’à Bark al-Ghimâd [un endroit au Yémen], nous combattrons avec toi tous ceux qui te barreront la route jusqu’à ce que tu y parviennes.
Le Prophète (saws) le remercia et invoqua Dieu pour lui, mais continua à demander à ses hommes d’exprimer leur opinion. En effet, les trois hommes qui s’étaient exprimés jusqu’alors appartenaient aux muhâjirûn, aux musulmans qui avaient émigré de La Mecque avec le Prophète (saws). Leur empressement et leur détermination à défendre la cause de l’Islam étaient indubitables, quoi qu’on puisse leur demander. Cependant, ils ne constituaient qu’une petite partie de l’armée du Prophète (saws). La majorité de la troupe appartenait aux ançâr (aux musulmans de Médine). Or, aucun d’entre eux n’avait encore parlé quand le Prophète (saws) répéta sa requête pour entendre d’autres opinions.
Le Prophète (saws) avait sans doute une autre idée en tête. En effet, quand les ansâr s’étaient engagés, à al-‘Aqaba, à le soutenir et à le protéger contre ses ennemis, ils avaient souligné qu’ils ne seraient responsables de lui qu’une fois qu’il serait arrivé dans leur ville. Ils lui avaient dit à l’époque : « Lorsque tu seras arrivé chez nous, tu seras sous notre responsabilité et nous te protégerons comme nous protégeons nos femmes et nos enfants. » Le Prophète (saws) pouvait donc penser que les ansâr ne se sentaient engagés à le soutenir que si un ennemi l’attaquait à Médine même ; autrement dit, que le pacte de protection n’incluait pas le fait de partir attaquer l’ennemi hors de la ville. Il devait donc s’assurer de l’opinion de ses compagnons.
Sa’d ibn Mu’âdh, un éminent personnage des ansâr, fut le premier à comprendre pourquoi le Prophète (saws) insistait pour entendre d’autres opinions. Il dit : « Tu sembles vouloir connaître notre avis, Envoyé de Dieu ? » Ayant reçu une réponse positive, Sa’d poursuivit : Nous avons déclaré notre foi en toi et accepté ton message comme étant la Vérité. Nous nous sommes fermement engagés à toujours faire ce que tu nous demanderas. Va donc, Messager de Dieu ; fais ce que tu veux, et nous irons avec toi. Par Celui qui t’a envoyé apporter la Vérité, si tu nous conduis jusqu’à la mer, nous irons avec toi. Personne ne restera en arrière. Nous ne craignons pas de rencontrer l’ennemi demain. Nous combattrons avec acharnement et détermination quand la guerre éclatera. Nous implorons Dieu de te montrer ce qui te satisfera. Avance donc, avec la bénédiction de Dieu.
Le Prophète (saws) fut très satisfait des propos de Sa’d. Il dit à ses compagnons : « Je vous annonce la bonne nouvelle que Dieu m’a promis que l’une des deux troupes ennemies [la caravane ou l’armée] nous reviendra. Je vois maintenant leurs chefs mourir sous nos coups. »
Nous avons ici encore un exemple du tact remarquable avec lequel le Prophète (saws) menait ses compagnons lorsqu’il se trouvait dans une situation difficile. Il aurait bien sûr pu se contenter de donner un ordre, et tout le monde l’aurait suivi. En permettant à ses compagnons de choisir librement, il obtenait cependant de biens meilleurs résultats. Il voulait en outre s’assurer de la manière dont ils comprenaient leurs engagements. S’ils lui avaient répondu qu’ils ne s’étaient pas engagés à sortir de Médine pour affronter une armée à l’extérieur, il ne leur aurait pas demandé plus que ce à quoi ils s’étaient engagés. Jamais il ne rompit un engagement ni ne demanda à quelqu’un de le faire.
Tout cela nous permet de mieux comprendre la nature des relations entre le Prophète (saws) et ses compagnons. Une fois certain, après avoir consulté ses compagnons, qu’ils seraient fermement derrière lui si une bataille contre les Quraysh s’avérait inévitable, le Prophète (saws) poursuivit sa route jusqu’à Badr. Les puits y étaient nombreux, et le Prophète (saws) décida de camper près du premier qu’il atteignit. L’un des ançâr, al-Hubâb ibn al-Mundhir, lui demanda : « Campons-nous ici parce que Dieu te l’a ordonné, et ne devons-nous ni avancer ni reculer ? Ou est-ce par ton propre jugement que tu as choisi cet endroit comme le meilleur pour avoir l’avantage sur l’ennemi ? »
Le Prophète (saws) ayant répondu que le choix relevait de sa propre décision, Hubâb poursuivit : « Alors, ce n’est pas le bon endroit pour établir le camp. Il vaudrait mieux avancer davantage, jusqu’au puits le plus proche de l’ennemi, où nous pourrons camper et creuser un bassin rempli d’eau. Puis nous fermerons les autres puits, de sorte que nous aurons notre réserve d’eau et qu’ils n’en auront pas. » Le Prophète (saws) se rangea sans hésiter à cet avis et en ordonna l’exécution.
Sa’d ibn Mu’âdh suggéra qu’un abri soit construit pour le Prophète (saws). Il lui dit : « Ton cheval sera prêt. Si nous gagnons, c’est ce que nous voulons. Dans le cas contraire, tu partiras sur ton cheval rejoindre le reste des nôtres. Ceux que tu as laissés derrière toi t’aiment tout autant que nous. S’ils avaient su que tu partais en guerre, ils ne seraient pas restés en arrière. Ils te protégeront, te conseilleront et combattront tes ennemis à tes côtés. »
Le Prophète (saws) remercia Sa’d et implora Dieu pour lui. Un abri fut construit comme l’avait suggéré Sa’d. Bientôt une légère pluie se mit à tomber, raffermissant le sol, ce qui permit aux musulmans d’avancer plus rapidement.
- Dans le camp ennemi
Les Quraysh, quant à eux, avançaient toujours. Lorsque le Prophète (saws) les vit pénétrer dans la vallée, il prononça cette invocation : « Seigneur, voici les Quraysh montrant tout leur orgueil pour s’opposer à Toi et accuser Ton messager de menteur. Seigneur, accorde-moi la victoire que Tu m’as promise. Seigneur, anéantis-les aujourd’hui. »
Lorsque les Quraysh établirent leur camp, un groupe d’entre eux s’approcha du bassin que les musulmans avaient creusé. Le Prophète (saws) dit à ses compagnons de ne pas s’opposer à eux. Tous ceux qui y burent furent tués dans la bataille, sauf Hakîm ibn Hizâm qui devait plus tard adhérer à l’Islam. Chacun des deux camps envoya des espions observer la situation de l’autre. ‘Ammâr et Abdullâh ibn Mas’ûd, les émissaires du Prophète (saws), revinrent en disant :
« Il règne une atmosphère de peur dans leur camp, au point que lorsqu’un cheval veut renâcler, ils lui frappent la figure. »
‘Umayr ibn Wahb, des Jumah, fut envoyé estimer l’importance des troupes musulmanes. Il pénétra profondément dans la vallée pour s’assurer que des troupes n’y étaient pas laissées en réserve. Puis il fit le rapport suivant : « Ils sont environ trois cents. Mais je vois une catastrophe et un bain de sang. Ils n’ont rien pour se protéger, à part leurs sabres. Je pense que nous ne pourrons pas en tuer un sans qu’il ne tue d’abord l’un des nôtres. S’ils parvenaient à tuer un nombre équivalent au leur dans notre camp, la vie ne vaudrait plus la peine d’être vécue. Prenez votre propre décision. »
Ce rapport suscita une certaine agitation chez les Quraysh. N’oublions pas que tous les chefs de Quraysh n’étaient pas disposés à affronter le Prophète (saws). Beaucoup auraient préféré rester à La Mecque une fois qu’ils avaient appris que la caravane avait pu échapper à ses poursuivants, mais c’étaient les partisans de la confrontation qui l’avaient emporté. Ceux-ci étaient parvenus à décider le reste des Quraysh en définissant le but de leur expédition comme une démonstration de force qui devait permettre aux Quraysh de préserver leur position de tribu dominante d’Arabie.
Maintenant que la menace de guerre se précisait, certains n’en voyaient pas la nécessité. Les deux clans de Adî et Zuhra décidèrent de se retirer. Al-Akhnas ibn Sharîq dit aux soldats du clan de Zuhra : « Dieu a préservé vos biens et épargné votre contribule Makhrama ibn Nawfal. Vous étiez mobilisés pour le secourir et sauver ses biens. Faites-m’en porter la responsabilité si vous êtes accusés de lâcheté, et rentrons chez nous. Il est inutile d’aller se battre pour rien. N’écoutez pas ce que dit cet homme [Abu Jahl]. » Ils suivirent ses conseils et prirent le chemin du retour. Les autres clans de Quraysh cédèrent aux pressions d’Abû Jahl et de ses partisans ; certains toutefois avaient le sentiment de commettre une erreur.
Le Prophète (saws) se rendait compte que les Quraysh ne souhaitaient pas unanimement une confrontation armée. Il était réticent à faire la guerre à sa propre tribu. Bien qu’il n’ait jamais cherché à fuir ses responsabilités ni hésité à combattre quand la guerre était inévitable, il aurait préféré que les Quraysh ne le contraignent pas à se battre. Car c’était ce qu’ils faisaient, en traversant l’Arabie en armes pour démontrer leur force et tenter d’imposer leur suprématie à toutes les tribus.
Pour tenter d’éviter l’affrontement, le Prophète (saws) envoya son compagnon ‘Umar ibn al-Khattab dire aux Quraysh de faire demi-tour, car il aurait préféré se battre avec d’autres qu’eux. Ce message, s’ajoutant à ce qu’avait dit ‘Umayr ibn Wahb au sujet du nombre, de la détermination et de la ferveur des musulmans, troubla considérablement les Quraysh. Après tout, ils n’avaient guère de motifs de chercher à se venger du Prophète (saws) et de ses compagnons. Lorsqu’il était à La Mecque, c’étaient eux-mêmes qui avaient été les agresseurs. Après son départ, tout ce qu’ils pouvaient vraiment lui reprocher était la mort d’un homme, Amr ibn al-Hadramî, et le pillage de sa caravane commerciale.
- De sages conseils rejetés
Ce fut Hakîm ibn Hizâm qui agit pour tenter d’éviter l’affrontement. Lorsqu’il entendit de ‘Umar le message du Prophète (saws), il dit à ses contribules : « Voilà une proposition honnête. Vous feriez bien de l’accepter. » Puis il alla trouver ‘Utba ibn Rabî’a et lui dit : « Tu es l’homme d’honneur et le chef obéi de Quraysh. Puis-je te dire quelque chose qui te vaudra à jamais l’estime des tiens ? » ‘Utba se montrant intéressé, Hakîm poursuivit : « Dis aux Quraysh de faire demi-tour et engage-toi à payer l’indemnité pour la mort d’Ibn al-Hadramî, car il était ton allié. Prends aussi en charge la perte de sa caravane. »
Conscient de la grande sagesse de ce choix, ‘Utba accepta immédiatement et demanda à Hakîm d’en être témoin. Il lui demanda aussi d’aller parler à Abu Jahl pour essayer de le persuader de ne pas s’opposer à sa proposition. Puis ‘Utba se leva et s’adressa aux Quraysh :
Écoutez-moi et ne combattez pas cet homme [le Prophète (saws)] et ses compagnons. J’assumerai toute la responsabilité. Vous pouvez m’imputer cette lâcheté. Parmi ces gens, beaucoup sont vos parents. Si nous gagnons, nombreux sont ceux d’entre nous qui, en regardant autour d’eux, y verront le meurtrier de leur père ou de leur frère. Cela causera beaucoup de rancune et d’hostilité dans nos rangs. Vous ne pourrez pas les tuer tous avant qu’ils n’aient tué un nombre équivalent parmi vous. Mais vous pouvez aussi perdre la bataille. Que cherchez-vous à venger, à part la mort d’un homme et la caravane qu’ils ont pillée ? J’en assumerai moi-même la responsabilité. Si Muhammad est un menteur, les loups parmi les Arabes vous en débarrasseront. S’il est un roi, vous bénéficierez du royaume de votre neveu. Si, au contraire, il est vraiment un prophète, vous serez les plus heureux des hommes qu’il soit l’un des vôtres. Alors ne rejetez pas mes conseils et ne méprisez pas mon avis.
On ne sait pas grand-chose de la réaction des soldats de Quraysh à ce discours de ‘Utba. Toutefois, Hakîm ibn Hizâm n’obtint rien lorsqu’il alla faire la même proposition à Abu Jahl. Celui-ci répliqua : « La lâcheté de ‘Utba est apparue maintenant qu’il a vu Muhammad et ses compagnons. Nous ne repartirons pas tant que Dieu n’aura pas jugé entre eux et nous. ‘Utba ne croit pas à ce qu’il dit. C’est seulement qu’ayant vu qu’ils sont peu nombreux et que son fils est parmi eux, il craint que son fils ne soit tué. »
Abu Jahl insista sur ces arguments pourtant contradictoires. Il envoya aussi chercher Amr ibn al-Hadramî, le frère de l’homme qui avait été tué par la troupe musulmane, pour l’inciter à réclamer aux Quraysh la vengeance de la mort de son frère. Cet appel étouffa les recommandations pacifiques de ‘Utba, et la plupart des Quraysh étaient désormais déterminés à se battre.
Les compagnons du Prophète (saws), à Badr, furent un peu inquiets lorsqu’ils s’aperçurent que les forces ennemies étaient au moins trois fois plus nombreuses que les leurs et qu’elles étaient beaucoup mieux équipées. Mais Dieu était avec eux. Le sommeil les envahit soudain ; lorsqu’ils s’éveillèrent au bout d’un moment, leurs craintes s’étaient dissipées et avaient fait place à un sentiment de réconfort. Cet assoupissement avait radicalement transformé leur moral. A leur réveil, ils étaient pleins d’assurance.
Ce fait est évoqué dans le Coran :
« Et quand Il vous enveloppa de sommeil comme d’une sécurité de sa part, et du ciel Il fit descendre de l’eau sur vous afin de vous en purifier, d’écarter de vous la souillure du Diable, de renforcer les coeurs et d’en raffermir les pas ! (Vos pas). »
(Coran 8, verset 11)
Les musulmans attendaient maintenant avec impatience que la bataille éclate. Du côté des négateurs, ‘Utba avait échoué dans sa tentative de persuader les Quraysh de repartir sans combattre. Abu Jahl était maître dans l’art d’éveiller les passions et de faire monter la tension. Nous avons mentionné ses efforts incessants pour maintenir la détermination des Quraysh à déclencher l’affrontement militaire. Il fit aussi circuler la rumeur que ‘Utba avait adopté cette attitude conciliante vis-à-vis des musulmans parce qu’il craignait pour la vie de son fils, Abu Hudhayfa, qui faisait partie de l’armée musulmane. Il l’accusa également de lâcheté.
‘Utba, profondément blessé par toutes ces accusations mensongères d’Abû Jahl, voulut montrer combien elles étaient fausses. Il sortit des rangs de l’armée de Quraysh en compagnie de son frère Shayba et de son fils al-Walîd et défia les musulmans pour un triple duel.
L’armée de Quraysh avait déjà commencé à avancer lorsque ‘Utba, son frère et son fils avaient entrepris cette action personnelle. Tandis que l’armée avançait, l’un des soldats, al-Aswad ibn Abd al-Asad du clan de Makhzûm, s’élança hors des rangs en disant : « Je jure devant Dieu de boire à leur réservoir, ou de le détruire, ou de mourir en essayant. » Hamza ibn Abd al-Muttalib, l’oncle du Prophète (saws), le frappa de son sabre, lui coupant la jambe. Al-Aswad continua néanmoins de ramper jusqu’au réservoir : Hamza le suivit et le tua près du réservoir. Al-Aswad fut ainsi le premier mort de cette bataille.
L’armée musulmane était très bien organisée. Le Prophète (saws) lui-même en avait supervisé le déploiement. Il parla à ses compagnons, soulignant l’importance de lutter avec détermination. Puis il leur dit : « N’avancez pas tant que je ne vous en aurai pas donné l’ordre. Lorsqu’ils s’approcheront, essayez de les repousser à coups de flèches. Ne dégainez vos sabres que quand ils seront près de vous. » Il entra alors dans l’abri qui avait été construit pour lui.
Sa’d ibn Mu’adh et un groupe des ansâr se tenaient près de l’abri, le sabre à la main, pour protéger le Prophète (saws) de toute attaque des ennemis. ‘Utba, son frère et son fils lancèrent leur défi en disant : « Muhammad, que nos égaux viennent se battre en duel. » Le Prophète (saws) envoya trois de ses proches : son oncle Hamza et ses deux cousins Alî ibn Abî Tâlib et ‘Ubayda ibn al-Hârith.
Les trois duels opposèrent ‘Ubayda à ‘Utba, Hamza à Shayba et Alî à al-Walîd. Hamza et Alî eurent tôt fait de tuer leur adversaire respectif. ‘Utba et ‘Ubayda se frappèrent en même temps et tombèrent tous les deux. Alî et ‘Hamza s’assurèrent alors que ‘Utba était tué, chacun le frappant de son sabre, puis ils portèrent ‘Ubayda jusqu’au Prophète (saws), qui lui fit reposer la tête sur sa jambe. ‘Ubayda avait sa jambe tranchée. Le Prophète (saws) lui annonça la bonne nouvelle : il était sur le point d’être le premier martyr de Badr.
La fin de ces duels marqua le déclenchement véritable de la bataille. L’armée de Quraysh passa immédiatement à l’attaque. Le Prophète (saws) avait très bien disposé ses troupes. Il leur ordonna maintenant d’attendre que les assaillants soient tout près. Le Prophète (saws) prit une poignée de poussière et dit : « Malheur à ces visages ! » Puis il souffla la poussière en direction des Quraysh.
Comme les deux armées étaient sur le point de se rejoindre, Abu Jahl dit : « Seigneur ! Que le camp qui rompt les liens de parenté et invente des mensonges soit vaincu aujourd’hui. » Cette prière allait aboutir à sa propre perte.
Le Prophète (saws) expliqua clairement à ses compagnons ce qu’ils avaient à gagner : « Par Celui qui détient en Son pouvoir l’âme de Muhammad, quiconque sera tué en combattant ces gens, en vouant sa vie à la cause de Dieu, en allant en avant et non pas en arrière, sera reçu par Dieu au Paradis. » Lorsque l’armée ennemie arriva près des musulmans, le Prophète (saws) ordonna le déclenchement de la bataille.
Ce fut un combat acharné entre deux forces inégales. Cependant, les musulmans étaient motivés par leur foi. Ils espéraient une ample récompense divine et ils étaient nombreux à aspirer au martyre, certains qu’un martyr est assuré d’entrer au Paradis. Ils contre-attaquèrent donc avec courage et détermination. Aucun chef ennemi n’était trop loin pour eux, aucune troupe n’était trop puissante.
Leur attitude est parfaitement illustrée par celle de ‘Umayr ibn al-Hamâm, qui était en train de manger quelques dattes lorsqu’il entendit les paroles du Prophète (saws) à propos de ceux qui seraient tués dans la bataille. Il dit : «Eh bien ! Tout ce qui me sépare du Paradis est d’être tué par ces gens ! » Il jeta alors ses dattes en disant : « Si je vis jusqu’à ce que j’aie mangé ces dattes, j’aurai vécu trop longtemps. » Puis il se lança dans la bataille et y trouva la mort.
Le fait de se battre à un contre trois donna un immense courage aux musulmans, qui eurent bientôt le dessus sur leur ennemi. Les troupes de Quraysh furent écrasées par leur assaut résolu. Le Prophète (saws) entrait dans son abri d’où il observait la bataille qui faisait rage. Puis il en descendait pour participer aux combats. Il allait et venait ainsi entre son abri et le champ de bataille, encourageant ses compagnons et remontant encore leur moral déjà excellent.
Quand il était dans son abri, il implorait Dieu : « Seigneur, je T’implore d’accomplir la promesse que Tu m’as faite. Si ce groupe de croyants était anéanti, Tu ne serais plus jamais adoré ici-bas. Accorde-moi la victoire que Tu m’as promise. Seigneur, emplis leurs coeurs de crainte et ébranle-les. »
Il ne cessait de prier avec ferveur et d’implorer le secours de Dieu, les mains levées vers le ciel. Son vêtement tomba de son épaule. Abu Bakr, le seul de ses compagnons à entrer avec lui dans l’abri, retint le vêtement du Prophète et le replaça sur son épaule. Il lui dit d’un ton apaisant : « Envoyé de Dieu ! N’implore pas ton Seigneur si fort, Il t’accordera certainement ce qu’il t’a promis. » Le Prophète continua néanmoins ses invocations et ses prières, mais ne tarda pas à s’assoupir.
Lorsqu’il se réveilla, il était d’humeur nettement plus joyeuse. Il dit à son compagnon : « Réjouis-toi, Abu Bakr. La victoire viendra certainement de la part de Dieu. Voici l’ange Gabriel tenant la bride de son cheval au-dessus de la poussière de la bataille. » Puis le Prophète descendit sur le champ de bataille annoncer à ses compagnons leur prochaine victoire.
Il convient d’ajouter ici quelques mots sur le rôle des anges. Dans toutes les campagnes menées par les musulmans aux côtés du Prophète (saws) contre les négateurs, Dieu les fit assister par des troupes d’anges. Les anges se contentaient habituellement de les soutenir sans prendre part au combat lui-même. Ce n’est qu’à Badr qu’ils ont réellement combattu. Les récits disant qu’ils ont pris part à la bataille sont trop nombreux pour être rejetés.
Quand la bataille était sur le point de commencer, le Prophète (saws) dit à ses compagnons : « J’ai appris que certains hommes du clan de Hâshim et d’autres ont été poussés à se joindre à l’armée contre leur gré. Ils n’ont pas de querelle avec nous. Si vous rencontrez un Hachémite, ne le tuez pas. Si vous rencontrez Abu al-Bakhtarî ibn Hishâm, ne le tuez pas. Si vous rencontrez al-Abbâs ibn Abd al-Muttalib, ne le tuez pas. Il est venu contre sa volonté. »
Abu al-Bakhtarî, qui n’était pas hachémite, fut mentionné par le Prophète (saws) parce qu’il était sans doute le plus modéré des Quraysh dans son attitude envers le Prophète (saws). C’était l’un des cinq hommes qui avaient réussi à organiser la campagne pour mettre fin aux trois années de boycott du clan du Prophète (saws) par le reste des Quraysh.
Cependant, Abu al-Bakhtarî se trouva dans la bataille face à un homme des ansâr du nom d’al-Mujaddhar ibn Ziyâd, qui l’informa des instructions particulières du Prophète (saws) le concernant. Montrant un ami qui marchait à ses côtés, Abu al-Bakhtarî demanda : « Qu’en est-il de mon compagnon ? » Al-Mujaddhar répondit : « Nous ne le laisserons pas échapper. Les instructions du Prophète ne s’appliquent qu’à toi. » Abu al-Bakhtarî dit alors : « Eh bien, nous mourrons tous les deux. Aucune femme de La Mecque ne dira que j’ai abandonné mon ami pour sauver ma vie. » Puis il se battit avec al-Mujaddhar qui le tua. Ce dernier alla ensuite s’excuser auprès du Prophète (saws) et lui expliquer qu’Abû al-Bakhtarî avait refusé d’être fait prisonnier et était déterminé à se battre.
La bataille de Badr fut le premier affrontement majeur entre le jeune État musulman de Médine et les Quraysh, la principale tribu arabe qui s’était opposée à l’Islam dès ses premiers instants. On ne saurait donc trop en souligner l’importance. Si les Quraysh avaient eu la victoire, ils auraient pu être tentés de marcher sur Médine afin d’anéantir définitivement l’Islam. Par contre, une victoire des musulmans établirait ces derniers en Arabie comme une force d’une puissance équivalente à celle des Quraysh. Cela explique la ferveur avec laquelle le Prophète (saws) priait pour la victoire.
Les musulmans étaient conscients que c’était une victoire décisive qu’il leur fallait. Ils se lancèrent donc dans la bataille, résolus à prouver que la supériorité numérique et matérielle ne pouvait pas résister au pouvoir de la foi. Ayant vu deux des plus éminents personnages de Quraysh, ‘Utba et Shayba, tomber dans les premiers duels, ils se mirent en quête d’autres notables. Umayya ibn Khalaf était le chef du clan de Jumah. Il avait été, aux premiers temps de l’Islam, l’un des instigateurs des tortures infligées aux nouveaux musulmans pour tenter de les contraindre à renoncer à leur nouvelle religion.
Sa principale victime était Bilâl, qui avait enduré les pires souffrances entre les mains d’Umayya avant d’être acheté et affranchi par Abu Bakr. Comme nous l’avons dit précédemment, Umayya n’avait pas voulu se joindre à l’armée de Quraysh mais l’un des extrémistes de Quraysh l’y avait poussé en lui faisant honte. Lorsque la bataille éclata, Umayya chercha à sauver sa vie. Il fut donc ravi de rencontrer Abd ar-Rahmân ibn Awf, l’un de ses vieux amis qui avait adopté l’Islam dès les premiers temps, qui transportait quelques pièces d’armures.
Umayya lui demanda : « Veux-tu me prendre à la place de tes pièces d’armures ? Ce sera une bien meilleure affaire pour toi. » Abd ar-Rahmân accepta, jeta les pièces d’armures qu’il portait et entreprit de conduire Umayya et son fils Alî à un endroit à l’écart du champ de bataille où ils pourraient sans danger être gardés prisonniers. Tandis qu’ils marchaient ensemble, Umayya constata que le fait le plus remarquable était que les musulmans ne faisaient pas d’effort pour prendre des prisonniers, qui auraient pourtant pu leur rapporter d’importantes rançons.
À ce moment, Bilâl vit emmener Umayya. Il s’écria : « Umayya, le chef de l’idolâtrie ! Que je périsse s’il reste en vie!» Puis il s’approcha. Abd ar-Rahmân indiqua à Bilâl que les deux hommes étaient ses prisonniers et qu’il ne fallait pas les tuer. Bilâl, quant à lui, répéta sa résolution de se venger d’Umayya. Comme ‘Abd ar-Rahmân manifestait l’intention de défendre ses prisonniers, Bilâl fit appel aux ansâr : « Partisans de la cause de Dieu ! Voici Umayya, le chef de l’idolâtrie ! Que je périsse s’il reste en vie. »
Un groupe des ansâr les entoura. Abd ar-Rahmân tenta de les protéger mais un des ansâr frappa Alî, le fils d’Umayya, à la jambe. Il tomba. Son père poussa un cri, et le père et le fils furent tués immédiatement. Abu Jahl lui-même fut tué à Badr. Un homme des ansâr du nom de Mu’adh Ibn ‘Amr a relaté que durant la bataille, il avait remarqué que plusieurs hommes de Quraysh se tenaient en cercle autour d’Abû Jahl et se disaient mutuellement : « Personne n’atteindra Abu al-Hakam [c’est ainsi qu’il était connu chez les Quraysh] ».
Mu’âdh a relaté : Lorsque je les entendis dire cela, je résolus de l’atteindre. Je me lançai dans sa direction, et quand il fut à ma portée, je le frappai une fois de mon sabre, ce qui suffit à faire voler en l’air la moitié de sa jambe, comme un noyau de datte vole de sous la meule à noyaux. Son fils, ‘Ikrima, me frappa à son tour et me coupa le bras, qui resta attaché à mon corps par un lambeau de chair. La bataille qui faisait rage m’empêcha de revenir vers lui. Je continuai néanmoins à me battre le reste de la journée, traînant mon bras derrière moi. Quand il me gêna trop, je me penchai et posai le pied sur ma main, puis je me redressai pour arracher mon bras. (Mu’adh vécut encore plus de trente ans après cela.)
Plus tard dans la bataille, un autre ansârî, Mu’awwadh ibn al-Hârith, passa près d’Abû Jahl et le frappa jusqu’à ce qu’il ne puisse plus bouger. Puis il le laissa, pas tout à fait mort.
La bataille terminée, le Prophète (saws) demanda à quelques musulmans de chercher Abu Jahl parmi les morts. Il fut trouvé par Abdullâh ibn Mas’ud, un petit homme qui avait été berger à La Mecque et qui avait été victime de l’hostilité d’Abû Jahl envers les musulmans. Abdullâh lui mit son pied sur le cou et lui dit :
« Ennemi de Dieu, n’as-tu pas été humilié ? » Abu Jahl répondit : « Comment cela ? Je ne suis qu’un homme tué par les siens. Dis-moi, qui a gagné la bataille ? » Abdullâh répondit que la victoire appartenait à « Dieu et Son messager ». Puis il le tua. Ce fut la fin de l’ennemi juré de l’Islam.
De nombreux notables de Quraysh trouvèrent la mort à Badr. Modérés et extrémistes souffrirent également, car ils étaient dans le même camp. Ceux que nous avons mentionnés, comme ‘Utba, Shayba, Umayya, Abu Jahl ou Abu al-Bakhtarî, ne sont que quelques exemples des hauts personnages tués. D’autres connurent un sort semblable, comme Zam’a ibn al-Aswad, ou encore les deux frères Nabîh et Munabbih, fils d’al-Hajjâj.
L’attaque des musulmans était si farouche qu’aucune armée de Quraysh n’aurait pu espérer la repousser. Il n’est donc pas étonnant qu’à la fin de la journée, les Quraysh aient déploré soixante-dix morts et soixante-dix prisonniers. Dans le camp adverse, quatorze musulmans étaient tombés martyrs. Ces chiffres illustrent la violence de la bataille et les efforts accomplis par les musulmans pour obtenir leur éclatante victoire. Après tout, ils luttaient à un contre trois, et ils parvinrent malgré cela à tuer et à faire prisonniers presque autant que la moitié de leurs propres troupes.
Une victoire aussi remarquable fut sans aucun doute obtenue avec l’aide de Dieu. Elle fut rendue possible par la combinaison d’un certain nombre de facteurs. Tout d’abord, les musulmans se battaient sous un commandement unique. Le Prophète (saws) lui-même était leur commandant en chef. Son sens de l’organisation était parfait. Les rapports entre commandant et soldats étaient exemplaires, la discipline qui régnait parmi ses troupes susciterait l’envie de n’importe quel Commandant d’armée. Tous ces facteurs rendaient l’armée musulmane extrêmement efficace, ce qui compensait son infériorité numérique.
Tandis que le Prophète (saws) consultait ses compagnons à chaque mouvement de troupes, les ennemis agissaient dans le désordre. L’armée comportait un certain nombre de notables, mais les plus éminents étaient ‘Utba et Abu Jahl. Ces deux hommes avaient des points de vue très différents. Il suffira de remarquer que l’un, ‘Utba, s’était senti obligé de déclencher la bataille parce que l’autre, Abu Jahl, s’était efforcé de le faire passer pour un lâche.
Deuxièmement, le Prophète (saws) était allé de Médine à Badr en employant une stratégie semblable à celle utilisée de nos jours lors des combats dans le désert. Il avait aussi envoyé des patrouilles en reconnaissance. Troisièmement, les objectifs des deux camps étaient très différents. Les musulmans voulaient obtenir la liberté de pensée, de culte et d’expression pour tous. Le message de l’Islam avait subi une intense répression des Quraysh pendant quinze ans : il était temps désormais que les Quraysh apprennent à respecter les droits fondamentaux de l’être humain.
Les objectifs des Quraysh étaient, quant à eux, tels qu’Abû Jahl les avait définis. Alors qu’une importante partie de l’armée de Quraysh voulait repartir à La Mecque après avoir appris que la caravane d’Abû Sufyân était en sécurité, Abu Jahl avait dit : « Nous irons jusqu’à Badr et nous y festoierons pendant trois jours. Nous tuerons des chameaux pour manger, nous nourrirons tous ceux qui voudront venir manger, nous boirons du vin en abondance et nous serons divertis par des chanteurs et des danseurs. Toute l’Arabie en entendra parler et nous craindra à jamais. »
Ces objectifs ne peuvent pas être ceux d’une armée sérieuse : ils ne reflètent que la vision sans envergure d’hommes poussés par l’orgueil. Lorsque la bataille fut terminée et que l’armée de Quraysh se fut retirée en ayant essuyé une cuisante défaite, le Prophète (saws) ordonna qu’on enterre les morts. Les quatorze martyrs musulmans furent enterrés dans des tombes creusées par leurs frères. Un puit désaffecté et asséché servit à enterrer les soldats ennemis. Quand les soixante-dix corps y eurent été enterrés, le Prophète se tint près de la tombe.
Il dit : « Gens du puits ! Avez-vous vu que les promesses de Dieu se réalisent toujours ? La promesse que Dieu m’a faite est assurément accomplie. » Certains compagnons du Prophète s’étonnèrent qu’il puisse parler à des morts, mais il dit : « Ils savent maintenant que la promesse de Dieu est accomplie. » Le Prophète (saws) envoya ensuite Abdullâh ibn Rawâha et Zayd ibn Hâritha apporter la bonne nouvelle à Médine.
Usâma ibn Zayd a relaté que son père était arrivé pour annoncer la victoire l’après-midi de l’enterrement de Ruqayya, la fille du Prophète (saws) qui était mariée à ‘Uthmân ibn Affân. Elle était malade lorsque le Prophète (saws) avait quitté Médine, et il avait demandé à son époux ‘Uthmân de rester pour s’occuper d’elle au lieu de se joindre à l’expédition. ‘Uthmân allait ensuite épouser la troisième fille du Prophète (saws), Umm Kulthûm.