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EPISODE 23

Organisation de la vie Médinoise des Musulmans

Histoire de la dernière révélation !

Le contenu qui suit n’est proposé qu’à titre purement indicatif et n’engage que son auteur. Pour plus d’informations, n’hésitez pas à vous rapprocher de votre mosquée locale.

Nous nous plaçons sous la protection d’Allah (Exalté soit-Il) pour la réussite de nos œuvres et demandons Son Pardon pour les erreurs émanant de nos âmes.

Fraternellement vôtre… Bilal Muezzin !

Résumé :

Si la distinction entre les différentes composantes de la population Musulmane, comprenant les autochtones et les émigrés Mecquois, ne tarde pas à s’effacer au profit d’une uniformité fraternelle, la nécessité d’établir de bonnes relations avec les autres communautés locales telles que les Juifs Médinois et les polythéistes Arabes amène la conclusion d’un pacte entre les trois parties, donnant à tous, fait inédit pour l’époque, une citoyenneté pleine et entière, chacun devenant le garant du droit des autres. Sur cette base, les Musulmans invitent les tribus périphériques à rallier leur alliance, non sans rencontrer quelques hostilités de la part de groupes Mecquois bien décidés à empêcher l’expansion de l’Islam à travers l’Arabie…

HISTOIRE :

Médine

Dans la biographie du Prophète (saws), le cheikh Abu al-Hasan Alî al-Hasanî Nadwî consacre tout un chapitre à la description détaillée de l’ordre social en vigueur à Médine à l’époque où le Prophète (saws) et ses compagnons mecquois s’y installèrent avec leurs frères originaires de la ville. Une étude de ce type est très utile à la compréhension des événements qui eurent lieu au cours des années suivantes, qui virent l’émergence du premier Etat islamique de l’Histoire.

Il souligne qu’à Médine, des religions, des cultures et des communautés différentes se côtoyaient, donnant ainsi à la ville une vie sociale particulièrement riche et colorée. Cette ville était en cela nettement différente de La Mecque qui ne possédait qu’une seule religion et une seule communauté. Nous donnons ci-dessous un résumé de l’analyse du cheikh Nadwî :

On pense que les tribus juives arrivèrent en Arabie, à Médine en particulier, au cours du premier siècle après J.C. Le Dr Israël Wilfonson fait remarquer qu’après leur sévère défaite aux mains des Romains en 70 apr. J.-C, ils avaient cherché refuge un peu partout dans la région. Certains parmi eux s’étaient dirigés vers l’Arabie. Trois tribus juives principales vivaient à Médine ; elles comptaient plus de 2 000 hommes adultes. Ces tribus étaient celles de Qaynuqâ’, an-Nadîr et Qurayza.

On estime que les Qaynuqâ’ disposaient d’une force armée d’environ 700 hommes, les an-Nadîr d’autant, tandis que les Qurayza devaient compter 900 hommes adultes. Les relations entre toutes ces tribus n’étaient pas toujours pacifiques. Il leur arrivait de se battre entre elles. Peut-être les autres communautés juives de Médine étaient-elles hostiles à la tribu de Qaynuqâ’ en raison de l’alliance de celle-ci avec la tribu arabe de Khazraj. Lors de la bataille connue sous le nom de Bu’âth, les an-Nadîr et les Qurayza avaient mené des combats acharnés contre les Qaynuqâ’ et tué un grand nombre de leurs hommes.

En même temps, ils avaient payé la rançon de tous les soldats juifs que ces derniers avaient capturés. Les hostilités se poursuivirent après la bataille de Bu’âth. Lorsque, plus tard, les ansars s’apprêtaient à se battre contre la tribu juive des Qaynuqâ’, aucune autre communauté juive n’était disposée à se joindre à ces derniers contre les ansâr. La tribu des Qaynuqâ’ possédait ses propres quartiers à l’intérieur de Médine, après avoir été chassée par les an-Nadîr et les Qurayza de leurs forts situés à l’extérieur de la ville. Les quartiers des an-Nadîr étaient situés à quatre ou cinq kilomètres au nord de Médine, dans une vallée fertile appelée Bâdhân.

Les quartiers des Qurayza se situaient quant à eux à un endroit appelé Mahzûr, à quelques kilomètres au sud de Médine. Toutes les tribus juives possédaient des forts et des quartiers où elles vivaient de manière indépendante. Elles disposaient de leur autonomie sous la protection des chefs des tribus arabes à qui elles payaient un tribut annuel afin d’être à l’abri de toute agression. Chaque chef juif avait un allié parmi les chefs de tribus arabes.

Ils se vantaient souvent de leur connaissance des religions et des lois et possédaient leurs propres écoles où ils étudiaient leur religion, leur code juridique et leur histoire. Ils possédaient également leurs lieux de culte et des écoles juridiques où ils débattaient de leurs affaires. Certains de leurs lois et règlements provenaient de leurs écritures tandis que d’autres émanaient de leurs rabbins. Ils possédaient leurs fêtes particulières et leurs jours de jeûne, comme le dix muharram, où leur jeûne commémorait le sauvetage de Moïse.

La plupart de leurs transactions financières et commerciales se faisaient selon un système fondé sur les gages et l’usure. Dans leurs boutiques, les prêteurs sur gages acceptaient comme garantie de remboursement des prêts non seulement des objets de valeur, mais même des femmes et des enfants. Ces transactions où l’emprunteur mettait en gage sa femme ou son enfant engendraient inévitablement des ressentiments.

Dans la vie courante, les juifs parlaient arabe, avec un net accent hébreu puisqu’ils n’avaient pas totalement cessé de parler l’hébreu, employé particulièrement dans les prières et l’étude. S’ils l’avaient souhaité, ils auraient pu exercer une influence religieuse considérable sur les Arabes et ainsi enraciner davantage le judaïsme en Arabie. Il ne fait aucun doute qu’un certain nombre d’Arabes des tribus des Aws et des Khazraj, et d’autres encore, se convertirent au judaïsme de leur propre gré, ou bien suite à un mariage avec une personne juive, ou encore simplement parce qu’ils avaient été élevés parmi les juifs.

Un personnage important des juifs, Ka’b ibn al-Ashraf, qui était marchand et poète, appartenait à la tribu arabe de Tayy, mais son père avait épousé une femme juive d’an-Nadîr et Ka’b avait été élevé dans le judaïsme. En outre, si un Arabe perdait deux ou trois enfants en bas âge, il pouvait faire le voeu, s’il avait un fils qui vivait, d’en faire un juif: certains arabes suivaient donc le judaïsme.

Les deux principales tribus arabes de Médine, les Aws et les Khazraj, descendaient de tribus du Yémen et d’Azd à la suite de vagues d’émigration répétées à différentes époques. Cette émigration était due à plusieurs causes, dont la conquête du Yémen par les Abyssins et la grave crise économique qui suivit l’effondrement du barrage de Ma’rib. Cela suggère que les tribus juives s’étaient déjà établies à Médine lorsque les Aws et les Khazraj y arrivèrent.

Les clans des Aws occupaient les zones sud et est de Médine, qu’on appelait la Partie Haute, tandis que les Kahzraj occupaient la Partie Basse, c’est-à-dire le centre et le nord de la ville. Il existait quatre clans issus des Khazraj, tous appartenant aux Banû an-Najjâr qui vivaient dans la partie centrale, où la mosquée du Prophète (saws) allait plus tard être construite. Les Aws avaient leurs quartiers dans des zones très fertiles et côtoyaient les principales communautés juives, tandis que les Khazraj habitaient une zone moins fertile dans le voisinage de la tribu juive de Qaynuqâ’.

Il est extrêmement difficile d’estimer la population arabe de Médine, mais on peut évaluer assez précisément ses forces armées dans les batailles qu’elle mena après l’établissement du Prophète (saws) à Médine. Elle constituait, lors de la prise de La Mecque, un contingent de quatre mille hommes dans l’armée musulmane. À l’époque de l’émigration du Prophète (saws) à Médine, les tribus arabes y occupaient une position dominante. Les tribus juives n’étaient pas parvenues à s’unir contre elles. Certains clans juifs étaient même alliés aux Aws, tandis que d’autres étaient alliés aux Khazraj.

Lorsqu’ils se combattaient, ils se montraient plus hostiles les uns envers les autres que les Arabes. L’antagonisme entre d’une part la tribu de Qaynuqâ’ et d’autre part celles d’an-Nadîr et Qurayza était si exacerbé que les membres de la tribu de Qaynuqâ’ avaient été obligés d’abandonner leurs femmes pour devenir des travailleurs journaliers. De même, les Aws et les Khazraj s’étaient combattus lors de plusieurs batailles.

La première était connue comme la bataille de Samîr et la dernière comme celle de Bu’âth ; celle-ci avait eu lieu cinq ans avant l’émigration du Prophète (saws) à Médine. En raison de sa situation géographique, Médine était divisée en plusieurs quartiers dont chacun appartenait à un clan arabe ou juif. Chaque quartier comportait une partie agricole avec ses habitations, et une autre partie constituée d’un ou plusieurs forts. Il y avait à Médine cinquante-neuf forts juifs. Ces forts étaient particulièrement importants car ils constituaient un abri en temps de guerre, surtout pour les femmes, les enfants et les vieillards. Ils étaient aussi utilisés comme granges pour stocker le grain et les récoltes ; on y entreposait également des armes.

En outre, certains forts servaient de halte aux caravanes de passage. Qui plus est, les forts comportaient des temples et des écoles possédant leurs propres bibliothèques. C’est la combinaison de ces quartiers qui constituait la ville de Médine, c’est-à-dire que la ville était le résultat de l’expansion d’un groupe de villages. L’ordre religieux et social était pratiquement déterminé par les Quraysh. Tous les Arabes reconnaissaient l’autorité des Quraysh dans les questions religieuses, parce que les Quraysh étaient les gardiens de la Maison Sacrée de La Mecque.

Les Arabes se conformaient donc aux pratiques religieuses des Quraysh. Cela conduisit à la propagation des croyances païennes. Tous les Arabes adoraient les idoles adorées par les Quraysh, tout en accordant parfois plus d’importance à certaines idoles qu’à d’autres. Ainsi, l’idole nommée Manât était connue comme la déesse de Médine. C’était l’idole la plus ancienne, et les Aws comme les Khazraj lui vouaient une immense vénération. Sa place était près du Mont Qa’dîd, au bord de la mer, sur la route entre La Mecque et Médine.

Al-Lât était l’idole des habitants de Tâ’if, tandis qu’al-‘Uzzâ était celle des habitants de La Mecque. Tout habitant de Médine qui voulait avoir sa propre idole, faite de bois ou d’une autre matière, l’appelait Manât du nom de la déesse principale du lieu. Il ne semble pas que les Arabes de Médine aient eu une idole propre à leur ville qui ait acquis un grand prestige et été adorée à l’extérieur, comme c’était le cas d’al-Lât, Manât, al-‘Uzzâ ou Hubal.

Il semble d’ailleurs que les idoles n’étaient pas aussi courantes à Médine qu’à La Mecque, où chaque maisonnée avait la sienne. Cela suggère que les habitants de Médine ne faisaient que suivre ce que les gens de La Mecque inventaient. Les Quraysh reconnaissaient la haute position des Aws et des Khazraj, puisqu’ils appartenaient à la branche arabe centrale des Qahtân. Les mariages entre ces tribus et les Quraysh étaient courants. Hâshim ibn Abd Manâf, arrière-grand père du Prophète (saws) et maître des Quraysh, avait épousé Salmâ bint Amr du clan d’an-Najjâr, qui faisait partie des Khazraj.

Mais les Quraysh s’attribuaient toujours la position prédominante. En outre, ils méprisaient l’agriculture comme moyen de subsistance, tandis que le mode de vie des habitants de Médine était fondé sur l’agriculture en raison de la fertilité de leurs terres. La situation économique était confortable, d’une manière générale. Médine et ses environs étaient célèbres pour leurs dattes et leurs raisins. Les dattes constituaient l’aliment de base de la population locale, en particulier lors des périodes de sécheresse. Les dattes servaient également de monnaie d’échange pour acheter d’autres produits.

Le palmier était aussi utilisé pour la construction et l’artisanat, ainsi que comme combustible et pour l’alimentation animale. Les terres agricoles de Médine produisaient diverses variétés de dattes, et les habitants possédaient une vaste expérience qui leur permettait d’en accroître le rendement. Cela n’empêchait pas pour autant les Médinois de pratiquer le commerce, quoique moins que les Mecquois qui, eux, dépendaient essentiellement de leurs activités d’importation et d’exportation. Médine possédait en outre un artisanat florissant, où les juifs occupaient une place particulièrement importante.

On relate que les juifs de Qaynuqâ’ étaient des bijoutiers expérimentés. Les champs de Médine produisaient essentiellement de l’orge et du blé, ainsi que des légumes verts et différentes sortes de légumes secs. La location des terres agricoles et la vente des produits de la terre se faisaient selon diverses pratiques : l’Islam allait en interdire certaines, ne conservant que celles qui ne lésaient aucune des parties. Outre la fertilité de son sol volcanique, Médine devait le succès de son agriculture à l’abondance de ses sources. Un grand nombre de rivières et de puits permettaient d’avoir de l’eau toute l’année.

La Mecque et Médine employaient la même monnaie, celle de Byzance ou de Perse, mais l’une comme l’autre étaient en argent. Pour le commerce, les Médinois utilisaient le volume plutôt que le poids ; ils possédaient plusieurs unités de volume reconnues. Il est important de noter que malgré la fertilité de ses terres, Médine ne pouvait pas produire assez de nourriture pour assurer ses besoins. Certaines denrées alimentaires devaient donc être importées : par exemple, on importait de Syrie de la farine, de la graisse et du miel. Les Médinois possédaient aussi des troupeaux abondants : des chameaux, des bovins et des ovins.

Les chameaux servaient à l’irrigation. Ils possédaient leurs propres pâturages, où l’on ramassait du bois pour le feu et où l’on emmenait paître les troupeaux et les chevaux. Les chevaux servaient à la guerre, mais ils étaient relativement moins nombreux qu’à La Mecque. Le clan de Sulaym était néanmoins célèbre pour les prouesses de ses cavaliers et importait les chevaux de divers endroits.

Plusieurs bazars et marchés se tenaient à Médine : les plus importants étaient le marché aux bijoux des juifs de Qaynuqâ’, un marché aux tissus où l’on vendait de la soie, du coton et d’autres textiles, ainsi que les bazars aux parfums. Diverses pratiques commerciales avaient cours, mais l’Islam en interdit un certain nombre. Certains marchands arabes des tribus d’Aws ou de Khazraj basaient leurs transactions sur l’usure, tout autant que les juifs.

En général, la vie était confortable à Médine avant l’avènement de l’Islam. De nombreuses maisons avaient plus d’un étage, certaines possédaient leur propre jardin. Les gens allaient parfois loin chercher leur eau parce qu’ils voulaient la meilleure eau potable disponible. Ils possédaient leurs outils, de beaux meubles, des objets de décoration et des bijoux. Les femmes avaient pour tâches la filature, la couture et la teinture. On savait sculpter et fabriquer des briques.

La vie était donc beaucoup plus complexe à Médine qu’à La Mecque, en raison de la présence d’une diversité de religions, de cultures et de communautés. Le Prophète (saws) ne pouvait manquer, par conséquent, d’être confronté à différents problèmes. Seule la force pénétrante de la foi pouvait réussir à forger la population de Médine en une seule communauté. Ainsi le Prophète Muhammad (saws), soutenu par Dieu, était-il à ce moment précis le seul capable de réaliser cette unité.

C’est dans ce cadre que le Prophète (saws) arriva pour édifier une communauté cohérente et un nouvel État. Comme nous l’avons dit, son hôte était Abu Ayyûb al-Ansârî, qui était extrêmement heureux d’accueillir le Prophète (saws) chez lui. Abu Ayyûb n’était pas très riche mais il faisait preuve de la plus grande hospitalité, conscient qu’être l’hôte du Prophète (saws) était une bénédiction pour laquelle il devait toujours remercier Dieu. Sa femme et lui faisaient donc de leur mieux pour rendre le séjour du Prophète (saws) le plus confortable possible.

Un jour, une jarre dans laquelle ils conservaient leur eau se cassa et l’eau fut renversée. Craignant que l’eau ne traverse le plancher et ne mouille le Prophète (saws), ils se précipitèrent pour l’essuyer avec une épaisse pièce d’étoffe qui leur servait de couverture lorsqu’ils dormaient. Ils n’avaient pas d’autre couverture : s’en servir pour éponger l’eau renversée impliquait que leur couverture serait mouillée et qu’ils ne pourraient pas s’en servir cette nuit-là.

Toutefois, ils auraient préféré rester éveillés toute la nuit que de déranger le Prophète (saws) en laissant de l’eau couler à travers le plancher. Umm Ayyûb préparait à manger pour le Prophète (saws). Ni elle ni son époux ne mangeaient rien tant que le Prophète n’avait pas fini son repas. S’il rendait le plat en y laissant de la nourriture, tous deux commençaient à manger à l’endroit où le Prophète avait mangé, espérant ainsi la bénédiction divine. Avec de tels hôtes, le Prophète (saws) savait bien qu’il pouvait rester aussi longtemps qu’il le souhaiterait.

Cependant, il ne voulait pas rester plus longtemps que nécessaire. Il devait bientôt faire construire ses appartements près de la mosquée et s’y installer avec son épouse Sawda. Celle-ci allait être rejointe quelque temps après par ‘Aïsha, une autre épouse du Prophète (saws). Peu après l’arrivée du Prophète (saws) à Médine, ce dernier envoya son compagnon Zayd ibn Hâritha et Abu Rafi’ à La Mecque, en leur donnant deux chameaux et cinq cents dirhams.

Ils ramenèrent avec eux les deux filles du Prophète (saws), Fâtima et Umm Kulthûm, ainsi que son épouse Sawda. Ruqayya, une autre fille du Prophète (saws), avait déjà émigré à Médine avec son époux Uthmân ibn Affân. La fille aînée du Prophète (saws), Zaynab, resta à La Mecque avec son époux Abu al-‘As ibn ar-Rabî’, qui n’était pas encore musulman. Zayd ibn Hâritha ramena aussi avec lui sa propre épouse, Umm Ayman, qui avait été la nourrice du Prophète (saws) dans son enfance. Celle-ci avait un fils, Usâma, que le Prophète (saws) aimait beaucoup. Abdullâh ibn Abî Bakr se joignit aussi à eux avec les membres de la famille d’Abû Bakr, y compris Aïsha. Lorsqu’ils arrivèrent à Médine, le Prophète (saws) les installa chez Hâritha ibn an-Nu’mân.

En s’installant à Médine, les musulmans émigrés se rendaient compte qu’ils ne verraient plus La Mecque pendant bien longtemps. Il était donc naturel qu’ils en éprouvent de la nostalgie. Les choses étaient encore compliquées par le fait qu’une épidémie de malaria sévissait à l’époque à Médine. Abu Bakr et Bilâl, entre autres, contractèrent la maladie. Le Prophète (saws) dut donc rassurer ses compagnons et calmer leurs inquiétudes. Il implora Dieu de rendre Médine aussi attrayante pour ses compagnons que La Mecque, de la bénir et de mettre fin à l’épidémie.

Le Prophète (saws) était conscient qu’il lui fallait s’occuper de tâches très importantes afin d’établir son nouvel État. Il commença par construire une mosquée. En face de chez Abu Ayyûb se situait un terrain découvert où l’on faisait sécher les dattes. Le Prophète demanda à qui il appartenait, et on lui répondit qu’il était la propriété de deux jeunes orphelins. Mu’âdh ibn Afrâ’ s’engagea à leur payer une généreuse compensation et dit au Prophète (saws) qu’il pouvait l’utiliser pour construire une mosquée.

Le Prophète demanda à ses compagnons de travailler ensemble à la construction de la mosquée. Lui-même travailla aussi dur que les autres. En le voyant travailler si dur, ils redoublèrent d’efforts afin que l’édifice soit achevé le plus vite possible. Ils coupèrent un certain nombre de palmiers et égalisèrent le sol, puis ils creusèrent les fondations, profondes de deux mètres. Les murs étaient de briques nues. C’était une construction carrée d’environ 65 mètres de côté. La Qibla (la direction vers laquelle on se tourne pour prier) fut orientée vers Jérusalem, car les musulmans priaient encore dans cette direction.

Le plafond était de branches de palmier, ce qui n’empêchait pas la pluie de s’infiltrer à l’intérieur. Le sol ne comportait pas de plancher ni de tapis, mais tout juste quelques nattes qui ne suffisaient pas à couvrir toute la surface. Beaucoup de fidèles priaient à même le sable. On construisit deux pièces contiguës à la mosquée, pour servir d’appartements au Prophète . Les mêmes matériaux furent utilisés, et le plafond était aussi fait de branches de palmier. Lorsqu’elles furent prêtes, le Prophète (saws) y emménagea.

La construction de la mosquée fut la première mesure importante prise par le Prophète (saws) à son arrivée à Médine. Il avait aussi construit une mosquée à Qubâ’, où il avait fait halte pendant quelques jours avant de poursuivre sa route jusqu’à Médine. On peut donc légitimement se demander pourquoi il attachait autant d’importance à la construction de mosquées.

La mosquée n’est pas simplement un lieu de culte. Si cela avait été le cas, le Prophète (saws) ne lui aurait accordé qu’une priorité secondaire : les musulmans peuvent prier et pratiquer leur culte où qu’ils se trouvent. Mais la mosquée est un symbole de l’Islam en tant que mode de vie complet et exhaustif. La mosquée du Prophète (saws) à Médine était tout à la fois un centre spirituel pour le culte, le lieu où se géraient les affaires intérieures et extérieures du nouvel État, un centre de diffusion du savoir où se tenaient des débats et des séminaires, et une institution sociale où les musulmans apprenaient et pratiquaient l’égalité, l’unité et la fraternité.

Ainsi la mosquée était-elle un lieu où s’accomplissaient de nombreuses fonctions. C’était, de fait, la cellule de base de la structure de la nouvelle communauté. Cette mosquée forma tous les grands hommes de cette époque de l’histoire musulmane. C’était un endroit simple, produisant des résultats admirables. Mais lorsque les mosquées ont perdu leur rôle fondamental dans la vie de la communauté musulmane, elles sont devenues des édifices immenses et magnifiques, ne produisant que de maigres résultats.

Le Prophète (saws) s’attaqua sans perdre de temps aux problèmes essentiels liés à l’établissement du premier État islamique. Il tourna immédiatement ses efforts vers un problème crucial : la consolidation de liens permanents entre les différents éléments qui constituaient la communauté musulmane. Il faut se rappeler que les ansâr (les musulmans de Médine) appartenaient à deux tribus distinctes qui s’étaient encore récemment fait la guerre.

Les deux camps étaient pleins d’espoir de voir se substituer à leur vieille hostilité, avec l’adoption de l’Islam, un lien permanent et inébranlable de fraternité. Il existait aussi à Médine une communauté d’immigrés (les muhâjirûn), qui appartenaient à différentes branches indépendantes des Quraysh. Bien que les muhâjirûn aient été bien reçus à Médine, ils n’avaient pas l’habitude du mode de vie de cette ville.

La plupart étaient des marchands, comme le reste des Quraysh, tandis que les ansâr étaient surtout des fermiers. De nombreux ajustements devaient se faire pour réduire au minimum les risques de frictions. Le Prophète (saws) appela donc ses adeptes à contracter un lien spécial de fraternité. Chacun des muhâjirûn devait être le frère de l’un des ansâr. Ce nouveau lien de fraternité était différent des liens fraternels ordinaires qui constituaient la base des relations sociales au sein de la société musulmane.

Ces liens fraternels ordinaires sont cruciaux dans toute communauté qui fait de l’Islam sa foi et son code social. Le lien de fraternité établi par le Prophète (saws) entre les muhâjirûn et les ansâr était, quant à lui, particulier à la société musulmane de Médine. C’était beaucoup plus qu’un lien spirituel. Il se traduisait, dans la réalité, en quelque chose de beaucoup plus fort qu’aucune relation tribale ou familiale.

Il était si réel pour les personnes concernées qu’un frère des muhâjirûn héritait de son frère des ansâr à la mort de celui-ci, et vice-versa. Pour illustrer la réalité de ce lien, on peut citer l’exemple de ‘Abd ar-Rahmân ibn Awf des muhâjirûn, dont le frère chez les ansâr était Sa’d ibn ar-Rabî’. Sa’d était conscient qu’il devait faire en sorte que son frère se sente chez lui à Médine.

Il lui dit : « Dieu soit loué, je suis assez riche, et j’ai décidé de partager exactement mes biens avec toi. J’ai aussi deux épouses : dis-moi laquelle tu préfères, et j’en divorcerai pour que tu puisses l’épouser. » Abd ar-Rahmân fut très touché par cette offre extrêmement généreuse. Il refusa cependant de prendre quoi que ce soit à son frère. Il se contenta de lui demander le chemin du marché, où il eut tôt fait de mettre sur pied un petit commerce.

Quelques jours plus tard, ‘Abd ar-Rahmân se rendit auprès du Prophète (saws), qui dut remarquer qu’il avait célébré quelque chose. ‘Abd ar-Rahmân expliqua qu’il venait d’épouser une femme des ançâr. Il lui avait donné pour dot, dit-il au Prophète  (saws), un petit morceau d’or du poids d’un noyau de datte. Ce petit événement est révélateur du genre de sentiments qui régnaient parmi les deux principaux groupes de musulmans de Médine : une générosité sans pareille d’un côté, et un haut degré d’intégrité de l’autre. De tels sentiments contribuèrent à forger, à partir de ces deux groupes, une seule communauté unie qui continua à donner l’exemple aux générations successives de musulmans.

Exprimant leur réaction à l’accueil reçu à Médine, les muhâjirûn dirent au Prophète  (saws) : « Nous n’avons jamais entendu parler de gens aussi généreux que nos hôtes : ils apportent le meilleur réconfort lorsque leurs moyens sont réduits, et ils sont les plus généreux lorsqu’ils sont aisés. Ils nous ont épargné tous les efforts et ont partagé avec nous leurs richesses. Nous craignons qu’ils ne reçoivent toute la récompense de Dieu, tandis qu’il ne nous en restera que très peu. »

Le Prophète répondit : « Il n’en sera pas ainsi, si vous leur êtes sincèrement reconnaissants et priez Dieu pour eux. » Le Prophète  établit ainsi des liens solides et serrés au sein de la communauté musulmane. Il devait aussi s’occuper des relations de sa communauté avec les autres groupes de la société médinoise.

Paix et confrontation

Nous avons évoqué à plusieurs reprises les deux groupes de musulmans de Médine : ceux qui étaient venus de La Mecque, les muhâjirûn, et les habitants autochtones, les ansâr. Il faut toutefois souligner que cette distinction ne conserva plus longtemps sa pertinence. Les deux groupes constituaient un ensemble cohérent, fondé sur l’égalité et la fraternité. On ne saurait trop insister sur la puissance des liens unissant les membres de cette première communauté musulmane.

Sur le plan interne, la structure de la nation musulmane était très solide. Le Prophète (saws) devait maintenant s’occuper des relations « extérieures » de la nation. Ces relations comportaient deux niveaux : d’une part, avec les Quraysh, qui étaient très hostiles au nouvel Etat. Il était inévitable que les Quraysh deviennent une menace sérieuse, à plus ou moins long terme. Le reste de l’Arabie restait dans l’expectative, préférant ne pas s’engager aux côtés de l’Islam tant que le conflit avec les Quraysh n’était pas résolu.

D’autre part, il y avait les autres communautés de Médine elle-même. Outre les musulmans, Médine comportait deux autres communautés. Les tribus juives qui constituaient leur propre communauté indépendante. La seconde communauté était celle des polythéistes arabes. Ceux-ci appartenaient aux mêmes tribus que les ansâr. Aucune hostilité ne se manifestait entre eux et les ansâr : ils continuaient au contraire à entretenir des relations amicales.

Le Prophète (saws) prit cependant les mesures nécessaires pour donner aux relations avec ces deux communautés une base claire et solide, ainsi que pour organiser les relations et les engagements au sein même de la communauté musulmane. Voici une traduction de cette charte constitutionnelle, qui définissait les obligations, les responsabilités et les engagements au sein du nouvel Etat et vis-à-vis des autres groupes et communautés :

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux.
Voici ce qu’a rédigé Muhammad, le Prophète (saws) pour les croyants et musulmans de Quraysh et de Yathrib et pour quiconque les rejoindra et prendra part à leur lutte pour leur cause : ils constituent une seule communauté se distinguant des autres. Les muhâjirûn de Quraysh demeurent, comme auparavant, responsables du prix du sang qui leur est imputé. Ils paient la rançon de ceux d’entre eux qui sont faits prisonniers, selon ce qui est reconnu comme juste parmi les croyants. Le clan des ‘Awf demeure, comme auparavant responsable du prix du sang qui lui est imputé. Chaque groupe paie la rançon de ses prisonniers, selon ce qui est reconnu comme juste parmi les croyants.

Le document répète ensuite les mêmes termes pour chaque clan des ansâr : les Sa’ida, les al-Hârith, les Jusham, les an-Najjâr, les ‘Amr ibn ‘Awf, les an-Nabît les Aws. Puis il poursuit :

Les croyants ne laisseront personne d’entre eux supporter de lourdes dettes sans l’aider raisonnablement à payer le prix du sang ou la rançon. Aucun croyant ne se liguera avec l’allié d’un autre croyant à l’exclusion de ce dernier. Les croyants pieux devront s’opposer à quiconque, parmi eux, transgressera ou se rendra coupable d’injustice, de crime, d’agression ou de corruption parmi les croyants : tous seront unis contre le coupable, fût-il le fils de l’un d’entre eux.

Aucun croyant ne tuera un autre croyant à cause d’un négateur, ni ne soutiendra un négateur contre un croyant. La garantie de Dieu est une : la protection accordée par le plus humble d’entre eux engage tous les autres, et les croyants sont alliés entre eux en dehors des autres. Ceux des juifs qui nous rejoindront recevront protection et égalité de droits ; ils n’auront à craindre ni injustice ni alliance contre eux. La paix des croyants est une : aucun croyant ne conclura un accord de paix à l’exclusion d’un autre croyant, lors d’un combat dans la voie de Dieu ; tous devront être concernés, également et justement.

Toutes les troupes qui partiront avec nous en expédition se relaieront les unes les autres. Les croyants prendront les uns pour les autres la revanche du sang versé dans la voie de Dieu. Les croyants pieux sont sur la meilleure et la plus droite des voies. Aucun négateur ne pourra garantir sa protection à un bien ou une personne de Quraysh ni s’interposer entre un croyant et eux. Quiconque sera reconnu coupable du meurtre d’un croyant sera puni de mort, sauf si le répondant de la victime accepte de l’épargner. Tous les croyants seront unis contre le meurtrier et ils seront tenus de lui appliquer cette règle.

Il ne sera permis à aucun croyant qui aura souscrit à ce traité et croira en Dieu et au Jour Dernier, d’accorder son soutien ou de donner refuge à un criminel. Quiconque aura ainsi accordé son soutien ou donné refuge à un criminel encourra la malédiction et le courroux de Dieu le Jour de la Résurrection. On n’acceptera de lui aucune indemnité ni compensation. Tout point sur lequel vous divergez devra être ramené à Dieu et à Muhammad .

Les juifs devront partager les dépenses des croyants tant qu’ils seront en guerre [contre d’autres]. Les juifs du clan des ‘Awf formeront une communauté avec les croyants. Les juifs ont leur religion et les musulmans ont la leur, qu’il s’agisse d’eux-mêmes ou de leurs alliés. Par contre, quiconque commettra l’injustice ou le péché ne portera préjudice qu’à lui-même et sa famille. Les juifs des clans d’an-Najjâr, al-Hârith, Sâ’ida, Jusham, al-Aws et Tha’laba ont les mêmes droits que les juifs du clan des Awf. Par contre, quiconque commettra l’injustice ou le péché ne portera préjudice qu’à lui même et sa famille.

Les Jafna sont une branche des Tha’laba et jouissent des mêmes droits. Le clan de Shutayba a les mêmes droits que les juifs du clan des Awf. Cet engagement ne sera pas violé. Les alliés des Tha’laba ont les mêmes droits qu’eux-mêmes, les proches des juifs ont les mêmes droits qu’eux-mêmes. Nul parmi eux ne pourra partir sans la permission de Muhammad. Il ne sera pas fait obstacle à la vengeance d’une blessure. Quiconque tuera en répondra lui-même ainsi que les membres de sa famille, sauf en cas d’injustice. Dieu est garant de cela.

Les juifs devront assurer leurs dépenses et les musulmans devront assurer les leurs. Ils devront se soutenir mutuellement contre quiconque ferait la guerre aux parties de cet accord. Ils se doivent mutuellement bienveillance et bon conseil. Cet engagement ne sera pas violé. Nul n’est responsable du crime de son allié, et le soutien ira à l’opprimé. Les juifs partageront les dépenses des croyants tant qu’ils seront en guerre. L’intérieur de la vallée de Médine sera sacré pour les parties de cet accord. Les personnes sous protection auront le même statut que nous-mêmes : elles ne devront ni être opprimées, ni commettre de transgression.

Aucune protection ne sera octroyée qu’avec l’accord de ceux qui en sont responsables. Tout désaccord ou risque de trouble survenant entre les parties de cet accord, devra être ramené à Dieu et au Prophète Muhammad . Dieu est garant du plus pieux respect des termes de cet accord. Aucune protection ne sera accordée aux Quraysh ni à ceux qui les soutiennent. Les parties de cet accord se soutiendront mutuellement contre quiconque attaquerait Yathrib. S’ils sont appelés à contracter un accord de paix et à y adhérer, qu’ils le contractent et y adhèrent. S’ils sont appelés à pareille chose, les croyants y sont engagés envers eux, sauf avec ceux qui combattent pour la religion.

Chaque groupe sera responsable de la part qui lui est la plus proche. Les juifs des Aws, eux mêmes et leurs alliés, ont les mêmes droits et obligations que les parties de cet accord. Les parties de cet accord l’appliqueront en toute sincérité. Cet engagement ne sera pas violé. Chacun portera la responsabilité de ses actes. Dieu est garant du plus sincère respect des termes de cet accord. Cet accord ne préserve pas de la punition quiconque est coupable d’injustice ou de crime. Quiconque quittera Médine sera en sécurité, et quiconque y restera sera en sécurité, sauf s’il est coupable d’injustice ou de crime. Dieu prend sous Sa protection ceux qui tiennent leurs engagements en toute pieté, et le Prophète Muhammad fait de même.

Cet accord fut le premier de ce type en Arabie. L’accord considérait les juifs comme des citoyens à part entière. Ils jouissaient de la liberté religieuse et de la protection de l’État. Ils devaient soutenir l’État musulman contre toute attaque ennemie.

L’arrivée du Prophète (saws) à Médine marquait la fondation du premier État musulman de l’Histoire. Il était très clair pour lui, dès le début, que les fondements de cet État devraient être consolidés en permanence. Ses premières actions importantes, lorsqu’il assuma le commandement à Médine, reflètent sa conscience aiguë de cette nécessité. Il construisit la mosquée, qui était tout à la fois un lieu de culte, une assemblée populaire et le siège du gouvernement. Il établit un nouveau lien puissant de fraternité entre ses adeptes afin de consolider la structure interne de sa communauté.

Il signa également un traité avec les tribus juives pour garantir la paix à Médine et pour être libre d’affronter les menaces extérieures auxquelles on pouvait évidemment s’attendre. Les Quraysh ne pouvaient pas rester inactifs pendant que le nouvel Etat de Médine devenait de plus en plus fort. Ils comprendraient nécessairement que cet État ne manquerait pas de remettre en question leur suprématie en Arabie. On pouvait donc s’attendre à ce qu’ils ne tardent pas à déclencher une campagne visant à éliminer ce rival avant de lui laisser le temps de prendre de l’ampleur.

Il était donc important que les musulmans de Médine fassent une démonstration de force afin que les Quraysh réfléchissent à deux fois avant d’entreprendre une action aussi risquée.

Vers la fin de la période mecquoise, le Prophète (saws) et ses adeptes avaient reçu la permission de combattre les négateurs. Cette permission fut exprimée dans un verset coranique révélé peu après le second pacte entre les ansâr et le Prophète (saws). Aucun combat n’eut lieu, toutefois, avant l’émigration du Prophète (saws). Tout indiquait que cela ne tarderait pas à arriver. Il fallait donc se préparer à cette éventualité.

Les muhâjirûn et les ansâr étaient de bons guerriers. Ils avaient quasiment tous déjà combattu avec leur propre tribu. Nous avons vu que les deux tribus auxquelles appartenaient les ansâr s’étaient affrontées en une bataille acharnée peu avant de connaître l’Islam. Mais toute cette expérience ne suffisait pas aux besoins du Prophète (saws). La communauté musulmane ne mènerait jamais de guerre tribale. Une nouvelle armée devait être constituée sur une base totalement différente de ce qu’on connaissait alors en Arabie : la base de la foi.

Le but même de la guerre serait ainsi différent. L’attitude des soldats face à la mort au combat serait fondée sur la conviction qu’un martyr accède toujours au Paradis. Leur attitude envers leurs frères d’armes serait aussi totalement différente. Le Prophète (saws) ne perdit pas de temps avant de constituer une telle armée. Le Prophète (saws) s’était empressé de consolider les fondations de son nouvel Etat. À l’intérieur, le tissu social de la nouvelle société était de la meilleure qualité.

Les rapports avec les autres communautés de Médine furent établis sur une base saine. Une armée bien entraînée, qui devait bientôt donner toute la mesure de sa valeur, fut constituée. L’instauration du nouvel État était certes un grand succès, couronnant le travail assidu accompli par le Prophète (saws) depuis quatorze ans. Puisque Médine n’était pas une cité isolée, ses relations avec ses voisins étaient très importantes. Tout autour de Médine vivaient des tribus bédouines qui ne connaissaient rien de l’Islam.

Quoique indépendantes, ces tribus penchaient naturellement en faveur des Quraysh. Comme eux, ces bédouins étaient des païens pour qui les valeurs religieuses n’avaient guère d’importance. Qui plus est, les Quraysh étaient la grande puissance d’Arabie. Il fallait faire quelque chose pour persuader ces tribus arabes que la situation avait changé. En outre, la mission du Prophète (saws) était universelle. Dieu lui ordonnait de transmettre son message à l’humanité entière et de l’inviter à y croire.

Jamais le Prophète (saws) n’envisagea l’instauration du nouvel État comme son objectif final. Ce n’était que la base à partir de laquelle il pourrait expliquer son message au reste de l’Arabie, puis au monde entier. Pour accomplir ces objectifs, le Prophète (saws) commença par envoyer des groupes armés de ses compagnons pour ce que les historiens ont appelé sarâyâ, que l’on peut traduire à peu près par des « expéditions ». En pratique, il s’agissait de manoeuvres par lesquelles les musulmans apprenaient beaucoup sur leurs ennemis : leurs capacités, leur influence sur d’autres tribus et la profondeur de leur animosité envers le nouvel État.

En même temps, ces manoeuvres amélioraient les capacités guerrières des musulmans et approfondissaient leur connaissance de la région environnante. La première expédition partit six mois à peine après l’arrivée du Prophète (saws) à Médine. Trente hommes des muhâjirûn, sous le commandement de Hamza, l’oncle du Prophète (saws), partirent vers la côte pour intercepter une caravane commerciale de Quraysh. Le chef de la caravane n’était autre qu’Abû Jahl, et il était accompagné de trois cents hommes. Aucun combat n’eut lieu car un chef tribal nommé Majdî ibn Amr, des Juhayna, intervint pour l’empêcher. Cette expédition eut lieu durant le mois de ramadan de la première année du calendrier musulman.

Le mois suivant (celui de shawwâl), le compagnon du Prophète (saws) ‘Ubayda ibn al-Hârith prit la tête d’une expédition de soixante hommes, avec pour instruction de la part du Prophète (saws) de pénétrer profondément dans le district de Râbigh, qui était plus proche de La Mecque que de Médine. Là, à un point d’eau nommé Ahyâ’, ils rencontrèrent Abu Sufyân à la tête d’une force de deux cents hommes de Quraysh. Les deux groupes échangèrent des tirs de flèches, mais aucun affrontement direct n’eut lieu.

Quelques semaines plus tard, au mois de dhû-l-qi’da, Sa’d ibn Abî Waqqâs prit le commandement d’une troupe de vingt hommes qui partit à pied, voyageant la nuit et se cachant pendant la journée. Le cinquième jour, ils arrivèrent à un endroit appelé al-Kharrâr qui était, selon leurs instructions, le point le plus éloigné où ils pouvaient aller. Ayant appris que la caravane de Quraysh qu’ils devaient intercepter était passée une journée entière avant eux, ils durent faire demi-tour.

Près de trois mois plus tard, au mois de safar de l’année suivante, le Prophète (saws) lui-même prit la tête d’un groupe de ses compagnons et partit jusqu’à un endroit appelé Waddân. Là, il conclut un accord de paix avec une tribu du nom de Damra. Il rentra ensuite sans rencontrer d’ennemis. Après avoir pris un peu de repos à Médine, il repartit, laissant Abu Salama le remplacer à Médine. Il alla jusqu’à al-‘Ashîra, près de Yanbu’, où il passa quelques jours et conclut un autre accord de paix avec les tribus alliées de Mudlij et Damra. Il retourna ensuite à Médine.

Peu après, Kurz ibn Jâbir de la tribu de Fihr attaqua les pâturages des environs de Médine. Le Prophète (saws) lui-même le pourchassa avec un groupe de ses compagnons jusqu’à la vallée de Safwân, près de Badr. Kurz parvint à s’échapper. Les historiens appellent cette poursuite la première expédition de Badr. Les expéditions devenaient de plus en plus fréquentes et plus importantes. L’une d’elles mérite une attention particulière en raison de son issue.

Un groupe très restreint partit pour cette expédition avec des instructions précises. Au moment du départ, le Prophète (saws) donna à ‘Abdullâh ibn Jahsh, son commandant, ses instructions écrites, en lui disant de ne les lire qu’au bout de deux jours de marche. Alors, il en apprendrait plus sur sa mission. Il ne devait obliger aucun de ses hommes à le suivre : si certains d’entre eux voulaient faire demi-tour, ils étaient libres de le faire.

Après deux jours de marche, ‘Abdullâh ouvrit ses instructions et lut : « Lorsque tu auras lu ceci, poursuis ta route jusqu’à la vallée de Nakhla, à mi-chemin entre La Mecque et Tâ’if. Essaie d’obtenir tous les renseignements que tu peux sur les Quraysh. » ‘Abdullâh dit : « Je le ferai volontiers. » Il se tourna ensuite vers ses compagnons et leur dit : « Le Messager de Dieu m’a ordonné d’aller jusqu’à Nakhla en mission d’espionnage, pour réunir des renseignements sur les Quraysh. Ceux d’entre vous qui aspirent au martyre sont les bienvenus ; ceux qui ont d’autres idées peuvent repartir. Quant à moi, je vais faire ce que le Prophète (saws) m’a ordonné. » Tous ses compagnons partirent avec lui, aucun ne fit demi-tour.

Les membres du groupe avaient un chameau pour deux et le montaient à tour de rôle. A un moment donné, l’un des chameaux s’égara. Les deux hommes qui le montaient, Sa’d ibn Abî Waqqâç et ‘Utba ibn Ghazwân, partirent à sa recherche tandis que le reste de la troupe poursuivait sa route jusqu’au but du voyage, la vallée de Nakhla. Une petite caravane de Quraysh vint bientôt y faire halte. Lorsque les hommes de Quraysh s’aperçurent de la présence de l’autre groupe, la panique les gagna. ‘Ukkâsha ibn Muhsin, du groupe musulman, se fit voir des Quraysh : iI s’était rasé la tête, un rituel accompli par la plupart des pèlerins et des visiteurs de la Ka’ba. Les Quraysh crurent ainsi que les autres voyageurs, qu’ils n’avaient pas reconnus comme étant musulmans, étaient des pèlerins. Leurs craintes furent donc apaisées.

Pendant ce temps, les musulmans discutaient de ce qu’il convenait de faire de la caravane. Une complication avait surgi : on était le dernier jour du mois de rajab, l’un des quatre mois lunaires où il était strictement interdit de combattre. Le problème, pour le groupe de musulmans, était que s’ils attendaient un jour supplémentaire, la caravane aurait atteint le sanctuaire de La Mecque et ne pourrait plus être interceptée. S’ils attaquaient, ils violeraient la règle concernant les quatre mois sacrés. Ils finirent néanmoins par décider d’attaquer.

‘Amr ibn al-Hadramî fut tué par une flèche de Wâqîd ibn Abdullâh. Deux autres négateurs, ‘Uthmân ibn Abdullâh et al-Hakam ibn Kaysân, se rendirent aux musulmans. Le quatrième membre du groupe de Quraysh, Nawfal ibn Abdullâh, parvint à s’échapper. La troupe musulmane put ainsi confisquer la caravane et reprendre la route de Médine. Lorsqu’elle y parvint, le Prophète (saws) refusa de prendre les deux prisonniers et la caravane, et dit aux hommes de la troupe : « Je ne vous ai pas demandé de combattre pendant le mois sacré. » Les hommes étaient consternés. Leurs frères musulmans leur reprochaient leur action. Ils ne savaient plus que faire et se sentirent perdus.

Cet incident donna lieu à une nouvelle campagne de propagande des Quraysh, qui tentèrent de ternir la réputation du Prophète (saws) et de ses compagnons auprès des autres Arabes. Ils insistaient sur la violation du mois sacré. L’affaire affecta profondément les musulmans, jusqu’à ce que Dieu apaise leurs inquiétudes avec de nouvelles révélations coraniques affirmant que chasser les musulmans de La Mecque était un crime bien plus grave que de tuer un négateur durant le mois sacré :

Ils t’interrogent sur le fait de faire la guerre pendant les mois sacrés.- Dis : » Y combattre est un péché grave, mais plus grave encore auprès d’Allah est de faire obstacle au sentier d’Allah, d’être impie envers Celui-ci et la Mosquée sacrée, et d’expulser de là ses habitants. L’association est plus grave que le meurtre. » Or, ils ne cesseront de vous combattre jusqu’à, s’ils peuvent, vous détourner de votre religion. Et ceux qui parmi vous abjureront leur religion et mourront infidèles, vaines seront pour eux leurs actions dans la vie immédiate et la vie future. Voilà les gens du Feu : ils y demeureront éternellement.

(Coran 2, verset 217)

Lorsque le Prophète (saws) reçut cette révélation, il accepta les prisonniers et partagea la caravane entre ses compagnons. Les Quraysh demandèrent la libération des deux prisonniers contre une rançon. Le Prophète (saws) leur répondit que rien ne pourrait être fait avant le retour de ses deux autres compagnons, Sa’d et ‘Utba, qui étaient restés en arrière pour chercher leur chameau. « Si vous les tuez, dit-il, nous tuerons vos deux hommes. » Sa’d et ‘Utba arrivèrent peu après : le Prophète (saws) accepta alors la rançon en échange des deux prisonniers. Cependant, l’un d’eux, al-Hakam ibn Kaysân, déclara sa conversion à l’Islam et choisit de rester à Médine. L’autre retourna à La Mecque où il devait plus tard mourir.

La campagne de dénigrement que les Quraysh avaient lancée contre le Prophète (saws) et ses compagnons en exploitant le combat qui avait eu lieu pendant un des quatre mois sacrés, eut tôt fait de tourner court une fois que le Coran eut replacé les choses dans leur juste perspective. Les Quraysh étaient coupables de violations bien plus graves de lois divines, et ne pouvaient donc ni se targuer d’avoir l’apanage de la vertu, ni faire honte aux musulmans pour leur action, pour grave qu’elle ait été.

Cette expédition était en quelque sorte annonciatrice des exploits à venir. C’était une expédition de huit hommes s’enfonçant profondément en territoire ennemi pour faire la preuve de la vulnérabilité de la route commerciale du Sud, entre La Mecque et le Yémen. L’affrontement eut lieu à plus de cinq cents kilomètres de Médine, dans une vallée à mi chemin entre deux centres de population très hostiles aux musulmans : La Mecque et Ta’if.

C’était donc une démonstration du dévouement des musulmans à leur cause et de leur empressement à prendre des risques importants pour garantir à leur religion une base solide et bien protégée. Les premières expéditions apportèrent aux musulmans des résultats considérables. Elles leur permirent de bien connaître la géographie et la topographie de la région de Médine. Ils purent identifier les itinéraires suivis par les caravanes commerciales circulant entre La Mecque et la Syrie.

Ils établirent aussi des contacts avec plusieurs tribus de la région et nouèrent des alliances avec certaines d’entre elles. Les musulmans prouvèrent également qu’ils étaient assez forts pour se défendre et défendre leur religion contre toute menace extérieure ou intérieure. Ils étaient conscients que les menaces étaient susceptibles de venir de toutes les directions. À l’intérieur, les tribus juives et les Arabes polythéistes pouvaient représenter une menace, tandis qu’à l’extérieur les Quraysh et leurs alliés arabes attendaient l’occasion d’écraser le nouvel État musulman.

Le Prophète (saws) expérimenta aussi, lors de ces expéditions, certaines nouvelles tactiques. La plus importante consistait à avancer en cachette, ce qui contribuait à prendre l’ennemi par surprise. À la suite de ces expéditions, les Quraysh comprirent que leur route commerciale vers la Syrie n’était plus sûre. Comme La Mecque dépendait du commerce, cette insécurité et la menace d’un siège économique constituaient des facteurs dissuadant les Quraysh d’entreprendre une action d’éclat contre les musulmans de Médine.

Le Prophète (saws) établit aussi à Médine un appareil de gouvernement capable de fonctionner sans difficulté en son absence. Il employa ces expéditions pour donner une base solide aux relations économiques et commerciales entre Médine et les régions environnantes. Médine était une ville située au centre d’une région majoritairement bédouine. Les raids des nomades sur les centres de population ont été courants dans toutes les régions du monde et à toutes les époques. Pour les éviter, une ville devait prendre les mesures nécessaires sur deux plans : pacifique d’une part, en contractant des alliances avec au moins une portion significative des tribus nomades ; guerrier d’autre part, en faisant la preuve de sa capacité à infliger des représailles suffisamment sévères en cas de besoin.

Le Prophète (saws) mit à profit ses expéditions dans cet objectif, sur ces deux plans, avec un succès remarquable. Cependant, la lutte contre le paganisme ne pouvait pas être gagnée uniquement en envoyant de petites expéditions pour démontrer la force des musulmans. Un long et dur combat s’annonçait.

Un événement important eut lieu environ seize ou dix-sept mois après l’établissement du Prophète (saws) à Médine : le changement de la direction vers laquelle les musulmans se tournent dans leurs prières. Quand il était encore à La Mecque, le Prophète avait reçu l’ordre de se tourner vers Jérusalem pour prier. Les musulmans, obéissant à cette injonction divine, avaient continué à prier dans cette direction après leur émigration à Médine. Des juifs médinois exploitèrent le fait que les musulmans priaient en direction de leur ville sainte pour affirmer que le judaïsme était la vraie religion et que Muhammad et ses compagnons devraient adopter le judaïsme plutôt que d’inviter les juifs à embrasser l’Islam.

Presque un an et demi après l’instauration de l’État musulman à Médine, de nouvelles révélations coraniques ordonnèrent au Prophète (saws) et aux musulmans de se tourner désormais vers la Ka’ba à La Mecque pour prier. Le Prophète lui même fut très satisfait de ce changement, qu’il désirait ardemment mais n’osait pas demander. Certains juifs de Médine réagirent par une campagne de dénigrement, mus par le sentiment que ce changement les avait privés d’un bon argument pour refuser l’Islam.

Leur nouvelle campagne cherchait à susciter dans l’esprit des musulmans des doutes quant au fondement même de leur religion. Si, disaient-ils, il était vrai que les musulmans devaient auparavant prier en direction de Jérusalem, alors la nouvelle direction était fausse. Ils disaient aux musulmans : « Vos prières ne seraient plus valables à partir de maintenant. Si, au contraire, la nouvelle direction est la bonne et que la Ka’ba est la véritable qibla, ce sont vos prières passées qui n’étaient pas valables. » Ces juifs ajoutaient que Dieu, le Seigneur Omniscient, ne modifie pas Ses instructions de cette façon. Le changement montrait assurément, poursuivaient-ils, que Muhammad (saws) ne recevait pas réellement de révélations divines.

La lecture des versets évoquant ce sujet et la discussion qui s’ensuivit à Médine montrent que cette campagne ne fut pas sans résultat. Les musulmans avaient besoin d’être rassurés, et le furent par la révélation d’un long passage du Coran, qui va des versets 106 à 150 de la sourate « La Vache » (al-Baqara). Un mot d’explication ne sera pas inutile.

Les Arabes vénéraient la Ka’ba avant l’avènement de l’Islam. C’était pour eux le symbole de leur gloire nationale. C’était aussi un facteur assurant la cohésion des tribus arabes. Cependant, l’Islam demande à ses adeptes une loyauté totale et sans partage. Les musulmans doivent se dévouer entièrement à Dieu et à la cause de l’Islam. Les compagnons du Prophète (saws) devaient donc abandonner toutes leurs loyautés antérieures, tant tribales que raciales ou nationales. D’où la nécessité de séparer leur culte de la vénération traditionnelle de la Ka’ba. Pour accomplir cet objectif, il leur fut ordonné de se tourner vers Jérusalem dans leurs prières.

Au bout d’un certain temps, une fois que les musulmans eurent accepté la nouvelle situation, se détachant ainsi du reste des Arabes, ils apprirent à considérer la Ka’ba différemment. Ils reçurent l’ordre de se tourner vers elle pour prier parce qu’elle avait été édifiée par les deux prophètes Abraham et Ismaël pour être vouée au seul culte de Dieu. Elle faisait donc partie de l’Héritage de la nation musulmane, née de la réponse à la prière d’Abraham de susciter parmi ses descendants un prophète qui leur enseignerait la vraie religion.

Ainsi, une fois atteint l’objectif de faire prier les musulmans en direction de Jérusalem pendant un certain temps, il fallait maintenant leur donner leur propre qibla : la Ka’ba, le premier lieu de culte jamais édifié. Cette évolution permettait aux musulmans de prendre pleinement conscience qu’ils étaient les véritables héritiers d’Abraham et de sa religion, fondée sur la soumission totale à Dieu.

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