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EPISODE 28

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Histoire de la dernière révélation !

Le contenu qui suit n’est proposé qu’à titre purement indicatif et n’engage que son auteur. Pour plus d’informations, n’hésitez pas à vous rapprocher de votre mosquée locale.

Nous nous plaçons sous la protection d’Allah (Exalté soit-Il) pour la réussite de nos œuvres et demandons Son Pardon pour les erreurs émanant de nos âmes.

Fraternellement vôtre… Bilal Muezzin !

Résumé :

Nombreuses sont les péripéties qui surviennent consécutivement à la bataille d’Uhud. Les Musulmans sont toujours en proie aux manigances extérieures et intérieures notamment de la part de la tribu de An-Nadir. Le Prophète (paix et prière d’Allah sur lui) épouse notamment Aicha (qu’Allah l’agrée), fille de son fidèle ami Abu Bakr As-Siddiq, qui sera calomniée en étant injustement accusée d’adultère puis innocentée par Allah (Exalté soit-Il) lui même. Survient également la bataille dite des coalisés qui, bien que particulièrement éprouvante, verra la victoire des Musulmans et leur assurance de ne plus jamais être sur la défensive…

HISTOIRE :

Vulnérabilité et trahison

Malgré l’efficacité de la démonstration de force organisée par le Prophète (saws) à Hamra al-Asad, où il avait campé pendant trois jours avec son armée, allumant des feux toute la nuit et faisant savoir qu’il était prêt à affronter les Quraysh pour une nouvelle bataille si telle était leur intention, il n’en demeurait pas moins qu’à Uhud, les musulmans avaient essuyé une défaite militaire. Certains non musulmans et les hypocrites de Médine ne cachaient pas leur satisfaction de ce qui était arrivé aux musulmans. Ils lancèrent une campagne de dérision dont la cible principale était le Prophète (saws) lui-même.

La défaite des musulmans devint leur sujet de conversation. Où qu’ils se trouvent, et quel que soit leur interlocuteur, la même question revenait : « Comment un messager de Dieu peut-il être vaincu par des idolâtres païens ? » Ils ne cessaient de répéter : « Si Muhammad était vraiment un prophète, il n’aurait pas subi cette défaite. Il n’est qu’un aventurier ambitieux à la recherche d’un royaume. C’est pourquoi il lui arrive parfois de gagner et parfois de perdre. »

Les hypocrites, quant à eux, s’efforçaient de détourner les gens du camp musulman. Ils tentaient de présenter la défaite d’Uhud comme un désastre total. Ils s’enorgueillissaient d’avoir déserté l’armée avant la bataille, ajoutant que les musulmans auraient mieux fait de suivre leur exemple.

Menaces extérieures

Les menaces extérieures se faisaient cependant de plus en plus précises. De nombreuses tribus, pensant n’avoir pas grand-chose à craindre des musulmans, adoptèrent une attitude hostile. Les tribus bédouines de la région de Médine pensaient pouvoir effectuer des razzias sur la ville sans risque de représailles. La tribu des Asad fut la première à envisager une telle attaque et commença à mobiliser ses forces dans cette perspective.

Cependant, le Prophète (saws) avait déjà mis sur pied un vaste réseau de renseignement afin de toujours être informé des événements susceptibles d’affecter la sécurité de Médine et de sa population musulmane. Lorsqu’il apprit les intentions des Asad, il mobilisa cent cinquante hommes des muhâjirûn et des ansâr sous le commandement de son compagnon Abu Salama.

Les musulmans agirent vite et purent attaquer la tribu des Asad chez elle, la prenant par surprise. Les assaillants musulmans purent disperser l’ennemi et ramener son bétail avec eux à Médine, obtenant ainsi une victoire totale sans subir de pertes. Toutefois, Abu Salama, qui avait été blessé à Uhud, souffrit d’une résurgence de la même blessure : les soins médicaux ne servirent à rien, et il mourut quelques jours plus tard.

Le Prophète (saws) apprit ensuite que Khâlid ibn Sufyân, de la tribu de Hudhayl, était en train de mettre sur pied une force importante pour attaquer Médine. Le Prophète (saws) appela son compagnon Abdullâh ibn Anîs et lui fit part de ce qu’il avait appris. Il lui demanda d’aller rejoindre Khâlid ibn Sufyân à ‘Urâna et de le tuer. Abdullâh ibn Anîs demanda au Prophète (saws) de lui décrire l’homme afin qu’il le reconnaisse. Le Prophète (saws) dit : «Lorsque tu le verras, il te fera penser à Satan. Le signe qui te confirmera que c’est bien ton homme sera que quand tu le regarderas, tu auras l’impression qu’il tremble. »

Abdullâh ibn Anîs relata ainsi la suite des événements :

Je le vis avec ses femmes ; il essayait de leur trouver un emplacement pour établir leur camp. C’était l’heure de la prière de ‘asr. Lorsque je le vis, je le reconnus au tremblement dont m’avait parlé le Prophète (saws). J’allai vers lui, mais je craignis alors de ne pas pouvoir faire ma prière si je devais me battre avec lui . Je fis donc ma prière en marchant vers lui, en faisant des mouvements de la tête au lieu des mouvements habituels de la prière. Quand j’arrivai près de lui, il me demanda qui j’étais. Je répondis : « Je suis un Arabe et j’ai entendu dire que tu mobilises une troupe pour attaquer cet homme : j’ai décidé de me joindre à vous. » Il répondit : « C’est bien ce que je fais. » Je marchai un moment avec lui , guettant le moment de le prendre par surprise. Puis, au bon moment, je le frappai de mon sabre et le tuai. Je quittai les lieux, tandis que ses femmes pleuraient sur son corps. Lorsque j’arrivai à Médine, le Prophète (saws) me vit et dit : « La mission est un succès. » Je répondis : « Je l’ai tué, Messager de Dieu. » Il me dit : « C’est bien. »

Les Hudhayl, furieux de l’assassinat de leur chef, se rendirent compte qu’ils ne pourraient pas se venger des musulmans s’ils les attaquaient à Médine. Comprenant que seule la ruse leur permettrait de se venger, ils envoyèrent au Prophète (saws) une délégation de deux tribus appelées Adal et al-Qâra. Quand ils parlèrent au Prophète (saws), les membres de cette délégation lui dirent que leurs contribules voulaient apprendre l’Islam et éventuellement y adhérer. Ils demandèrent au Prophète (saws) d’envoyer un groupe de ses compagnons pour leur expliquer l’Islam et leur enseigner la récitation du Coran.

Le Prophète (saws) envoya avec eux six de ses compagnons, avec pour chef Marthad ibn Abî Marthad. Les cinq autres étaient Khâlid ibn al-Bukayr, Asim ibn Thâbit, Khubayb ibn Adî, Zayd ibn ad-Dathinna et Abdullâh ibn Târiq. Les deux groupes firent route ensemble jusqu’à un point d’eau appelé ar-Rajî’ et appartenant aux Hudhayl, où ils établirent leur camp. La délégation envoya secrètement un émissaire dire aux Hudhayl de venir arrêter les musulmans.

Pris par surprise, les six musulmans se retrouvèrent entourés par une centaine d’hommes des Hudhayl. Ils réussirent à trouver refuge sur une colline voisine et se montrèrent prêts à combattre. Les hommes de Adal et al-Qâra leur dirent : « Nous n’avons pas l’intention de vous tuer. Tout ce que nous voulons, c’est vous remettre aux Mecquois pour de l’argent. Nous vous jurons devant Dieu de ne pas vous tuer, nous nous y engageons solennellement. »

Les trois premiers, Marthad, Khâlid et Asim, répliquèrent qu’ils n’accepteraient jamais la parole d’idolâtres et ne passeraient aucun accord avec eux. Ils se battirent avec leurs compagnons contre leurs assaillants déloyaux, et furent tous les trois tués. Les trois autres préférèrent accepter l’offre des assaillants. Ils déposèrent leurs armes et furent faits prisonniers. Dès qu’ils furent descendus de la colline, ‘Abdullâh ibn Târiq comprit que ses ravisseurs s’apprêtaient à trahir leur parole. Il réussit à se détacher les mains, saisit son sabre et fit demi-tour. Cependant, les hommes le bombardèrent de flèches, de pierres et d’autres projectiles et finirent par le tuer. Les deux autres musulmans restaient prisonniers.

Le serment d’un mort

Âsim ibn Thâbit présentait un intérêt particulier pour les traîtres. Lors de la bataille d’Uhud, il avait tué deux frères idolâtres. Leur mère, Sulâfa bint Sa’d, faisait partie des femmes de Quraysh qui s’étaient jointes à l’armée à la bataille d’Uhud. Elle savait que c’était Asim qui avait tué ses deux fils. Elle avait fait le voeu que si elle mettait la main sur Asim, elle se servirait de son crâne comme coupe pour boire du vin. Maintenant, ses meurtriers voulaient lui couper la tête afin de la vendre à Sulâfa, pensant en tirer un bon prix.

Or, Asim avait fait serment devant Dieu de ne jamais toucher un idolâtre ni laisser un idolâtre le toucher. Bien que cela ne soit pas demandé aux musulmans, ‘Asim avait fait ce serment parce que, trouvant les négateurs impurs, il ne voulait avoir aucun contact physique avec eux. Quand il fut tué, il se trouva évidemment à la merci de ses meurtriers, qui étaient négateurs. Lorsque ceux-ci s’approchèrent de lui pour lui couper la tête, cependant, ils le trouvèrent quasiment recouvert d’un grand nombre de guêpes, de frelons et d’abeilles.

Ils craignirent de se faire piquer s’ils mettaient leur projet à exécution. Quelqu’un suggéra d’attendre la tombée de la nuit, où les insectes regagneraient leur nid. Cependant, quand le soleil commença à se coucher, des pluies torrentielles emportèrent le corps de ‘Asim ibn Thâbit vers une destination inconnue. Lorsqu’il apprit que Asim avait été protégé par les guêpes et les frelons, ‘Umar ibn al-Khattâb dit : « Dieu protégera toujours Ses fidèles serviteurs. Asim avait fait le serment de ne jamais toucher un idolâtre aussi longtemps qu’il vivrait, et Dieu lui a permis de réaliser sa promesse après sa mort. »

Les deux autres prisonniers, Khubayb ibn Adî et Zayd ibn ad-Dathinna, furent emmenés à La Mecque et vendus aux Quraysh. ‘Uqba ibn al-Hârith acheta Khubayb pour le tuer afin de venger la mort de son père al-Hârith ibn Amir, tandis que Safwân ibn Umayya achetait Zayd pour le tuer afin, lui aussi, de venger son père Umayya ibn Khalaf qui avait été tué à la bataille de Badr. Les deux hommes ayant été capturés pendant le mois où il était traditionnellement interdit, en Arabie, de se battre et de s’entretuer, ils furent gardés prisonniers jusqu’à la fin de cette période.

Peu après, les deux hommes furent emmenés à en endroit appelé at-Tan’îm, à six kilomètres environ au nord de La Mecque, pour y être tués. Un grand nombre d’hommes, de femmes et d’enfants s’y rendirent pour assister à la mise à mort des deux prisonniers sans défense. Safwân ibn Umayya ordonna à l’un de ses esclaves, du nom de Nastas, de tuer Zayd. Lorsqu’on l’eut amené pour le tuer, Abu Sufyân s’adressa à Zayd : « Je te le demande au nom de Dieu, Zayd, préférerais-tu que Muhammad soit à ta place pour être tué par nous, tandis que tu serais en sécurité dans ta famille ? » Zayd répondit : « Je ne voudrais pas être dans ma famille maintenant, et que Muhammad soit gêné ne serait ce que par une épine dans son corps, où qu’il se trouve à présent. »

Abu Sufyân remarqua : « Je n’ai jamais vu personne montrer autant d’amour pour quelqu’un, que les adeptes de Muhammad pour lui. » Quand on amena Khubayb pour le tuer, il demanda à ses meurtriers : « Je serais reconnaissant si vous me laissiez faire une brève prière. » Ils cédèrent à sa requête et il effectua une prière de deux rak’ât, aussi calmement que tout fidèle absorbé par sa prière. Lorsqu’il eut fini, il leur dit : « J’aurais prié plus longtemps si je n’avais craint que vous pensiez que j’avais peur de la mort. »

Les Quraysh attachèrent Khubayb à une croix de bois puis dressèrent cette croix. Il leva les yeux vers le ciel et dit : « Seigneur, j’ai transmis le message de Ton Messager. Informe-le de ce qu’on nous a fait. » Puis il regarda ses meurtriers et dit : « Seigneur, compte-les tous, tue-les tous et n’en laisse aucun échapper. » Lorsqu’ils comprirent qu’il était en train de faire cette prière, ils se jetèrent à terre sur le côté, comme le voulait leur tradition. Ils croyaient qu’en agissant ainsi ils échapperaient à la malédiction prononcée contre eux.

Ainsi s’acheva un épisode qui causa une immense peine aux musulmans de Médine, en particulier à cause de la trahison à l’origine de ces meurtres.

Nouvelle trahison

À l’époque où ces musulmans étaient traîtreusement assassinés à ar-Rajî’, un autre groupe des ansâr fut victime d’un crime encore plus terrible et plus perfide. L’affaire commença lorsqu’un homme du Najd appelé Amir ibn Mâlik – ou plus solennellement Abu Barâ’, selon la tradition arabe d’appeler un homme le père de son fils aîné – vint à Médine rencontrer le Prophète (saws). Ce dernier lui expliqua le message de l’Islam et l’invita à croire à l’unicité de Dieu et au message qu’il avait confié à Muhammad. Abu Barâ’, qui était un chef très respecté des siens, n’embrassa pas l’islam mais ne le rejeta pas non plus : il suggéra au Prophète (saws) d’envoyer un groupe de ses adeptes au Najd, où ils pourraient parler aux clans et aux tribus et les inviter à croire à l’Islam.

Il dit au Prophète (saws) qu’il avait bon espoir que la réaction des tribus arabes du Najd ne soit pas défavorable. Le Prophète (saws) exprima ses craintes que les gens du Najd, connus pour leur bravoure et leur férocité, n’essaient de les tuer. Abu Barâ’ s’engagea à les prendre sous sa protection. Dans les traditions de l’Arabie de l’époque, tout homme pouvait prendre une autre personne sous sa protection en le déclarant publiquement. Cela signifiait que la tribu du protecteur était dans l’obligation de défendre la personne protégée contre quiconque essaierait de lui nuire.

La pratique habituelle voulait que les tribus arabes respectent la protection accordée à quiconque par les membres de toute tribu avec laquelle ils ne voulaient pas entrer en conflit. En effet, toutes les tribus considéraient que la violation de leur protection par un individu ou une tribu était un acte d’agression auquel on ne pouvait répondre que par la guerre, ou du moins en tuant les coupables de cette violation ou un nombre équivalent de personnes de leur tribu.

Le Prophète (saws) envoya une mission comprenant au moins quarante de ses compagnons (quoique certains récits avancent le nombre de soixante-dix), tous membres des ansâr à l’exception de Amir ibn Fuhayra, le serviteur d’Abû Bakr qui avait joué un rôle important dans l’organisation de l’émigration du Prophète (saws) à Médine. Quand la délégation parvint à un endroit appelé Bi’r Ma’un, à mi-chemin entre la région habitée par la tribu des Amir et celle habitée par la tribu des Sulaym, elle envoya l’un de ses membres, Harâm ibn Milhân, apporter au chef de la tribu des Amir, qui s’appelait Amir ibn at-Tufayl, la lettre que le Prophète (saws) lui avait adressée.

Cependant, Amir ibn at-Tufayl ne regarda même pas la lettre : il tua Harâm ibn Milhân sur-le-champ. Il faut souligner ici que la tribu des Amir était au courant qu’Abû Barâ’, un de ses chefs, avait pris cette mission sous sa protection. Celui-ci était en effet parti de Médine au-devant des émissaires musulmans pour signaler à toutes les tribus que les compagnons du Prophète (saws) étaient sous sa protection. Le meurtre de Harâm par Amir ibn at-Tufayl constituait donc une violation des valeurs et des traditions ancestrales, d’une part parce qu’il avait tué un émissaire alors que les émissaires devaient normalement circuler librement, d’autre part parce qu’il avait rompu un engagement de protection contracté par un chef de sa propre tribu.

‘Amir ibn at-Tufayl appela ensuite les membres de sa tribu à attaquer la délégation musulmane. Ceux-ci refusèrent catégoriquement, lui signifiant clairement qu’ils n’étaient pas prêts à violer l’engagement de protection pris par Abu Barâ’. Il se tourna alors vers la tribu des Sulaym : là, il obtint l’aide escomptée. Ils avancèrent en force sous son commandement et eurent tôt fait d’encercler les musulmans qui , inquiets de l’absence prolongée de leur émissaire, avaient commencé à avancer vers le district de la tribu des ‘Amir.

Les musulmans se trouvèrent assiégés par une force bien plus importante que la leur. Toutes les chances étaient contre eux. Il n’y eut ni négociations, ni aucune forme de dialogue. Les assaillants n’avaient qu’un but, qu’ils entreprirent de réaliser immédiatement. Les musulmans se défendirent, naturellement, et menèrent avec bravoure un combat difficile. Cependant, l’ennemi avait l’avantage du nombre. Tous les hommes musulmans de cette mission furent tués, à l’exception de Ka’b ibn Zayd qui, blessé, fut laissé pour mort. Ce dernier survécut toutefois et put participer, un an plus tard environ, à une autre bataille aux côtés du Prophète (saws) où il tomba en martyr.

Deux des musulmans avaient auparavant été envoyés mener les bêtes au pâturage. Ils avaient parcouru une distance importante et n’avaient pas assisté aux terribles événements de la journée. Ils se doutèrent cependant qu’un événement grave avait eu lieu lorsqu’ils virent un grand nombre d’oiseaux concentrés sur l’endroit où ils avaient laissé leurs compagnons. Ils comprirent que quelque chose s’était passé pour attirer les oiseaux. Ils se hâtèrent de rejoindre l’endroit, où un horrible spectacle les attendait. Tous leurs frères étaient morts ; leur sang baignait les lieux.

Les chevaux des assaillants étaient encore là : ils n’étaient pas encore partis. L’un des deux hommes, Amr ibn Umayya des muhâjirûn, dit à son frère des ansâr, al-Mundhir ibn Muhammad, qu’à son avis le mieux qu’ils pouvaient faire était de rentrer annoncer au Prophète (saws) ce qui s’était passé. Son compagnon répliqua : « Je ne voudrais pas échapper à une bataille où al-Mundhir ibn Amr [l’un de ses amis] a été tué. Je ne souhaiterais certainement pas que d’autres me racontent comment il est mort. » Il attaqua alors les agresseurs et se battit seul contre tous, tuant deux de leurs hommes avant d’être tué. Amr ibn Umayya restait seul et, se rendant compte qu’il serait futile d’essayer de combattre à lui seul une troupe aussi importante, il se laissa faire prisonnier.

Lorsqu’il dit à Amir ibn at-Tufayl qu’il appartenait à la tribu des Mudar, il fut libéré. Amir lui dit, après lui avoir rasé la tête en signe d’humiliation, qu’il le libérait au nom de sa mère, qui était dans l’obligation de libérer un prisonnier ou un esclave. Amr ibn Umayya prit le chemin de Médine. Arrivé à un lieu appelé Qarqara, il fit halte pour se reposer. Deux hommes de la tribu des Amir vinrent le rejoindre dans l’endroit ombragé où il s’était arrêté. Ces deux hommes s’étaient rendus auprès du Prophète (saws) et étaient porteurs d’un laissez-passer de sa part.

Autrement dit, le Prophète (saws) les avait pris sous sa protection. Ne sachant pas cela, Amr décida de tuer les deux hommes quand il apprit à quelle tribu ils appartenaient. Il attendit qu’ils s’endorment puis mit son idée à exécution. En les tuant, il pensait venger partiellement ses compagnons. De retour à Médine, Amr relata au Prophète (saws) ce qui était arrivé à ses partisans, le Prophète (saws) fut peiné, outragé et blessé par ce qui s’était passé. Il dit : « C’est le résultat des conseils d’Abû Bara. Je ne voulais pas les envoyer, je craignais les conséquences. » Jamais peut-être le Prophète n’éprouva une peine pareille à celle qu’il ressentit pour ses compagnons tués lors de cet incident.

En effet, c’était à la fois un meurtre commis de sang-froid et une trahison. Dans son affliction, le Prophète (saws) implora Dieu de punir les clans qui avaient participé au meurtre de ses compagnons. Il répéta cette invocation tous les jours pendant quinze jours, au cours de ses prières de l’aube. Il mentionnait nommément chaque clan et implorait également Dieu de secourir certains individus qui étaient détenus à La Mecque par les Quraysh.

Confiants ou vulnérables

Les deux incidents tragiques d’ar-Rajî’ et Bi’r Ma’ûna mirent en évidence la vulnérabilité de la situation de la communauté musulmane à Médine. Venant juste après la bataille d’Uhud, ces deux incidents suggéraient qu’une grande partie des forces hostiles à l’Islam étaient fort tentées de tester la résistance des musulmans. Les ennemis intérieurs, à Médine, tirèrent les conséquences de ces deux événements et se dirent qu’une attaque bien organisée visant la personne même du Prophète (saws) pourrait leur apporter le succès qu’ils espéraient.

Ils attendaient donc que l’occasion se présente. On peut ici se demander si la situation n’aurait pas été plus facile pour les musulmans si Dieu avait choisi de leur révéler l’identité de tous les hypocrites, afin qu’ils puissent au moins s’en méfier. Dieu aurait certainement pu le faire facilement s’il l’avait voulu, mais telle ne fut pas Sa volonté. Si le Prophète (saws) avait pris des mesures effectives contre eux, il aurait donné l’impression de punir une partie de ses adeptes sans raison apparente. Cela aurait pu dissuader de nombreuses personnes qui auraient autrement pu décider d’embrasser l’Islam.

Le Prophète (saws) serait apparu comme un tyran qui jugeait arbitrairement certains de ses partisans. En outre, il donnait l’exemple que devraient suivre les futures générations de musulmans. Puisqu’aucun dirigeant musulman ne recevrait plus de révélation divine, l’identité des hypocrites des générations futures ne pourrait être établie. Ainsi les hypocrites représentaient-ils un danger impossible à quantifier. Les musulmans devaient demeurer sur leurs gardes.

Quant aux tribus juives, elles avaient conclu un traité de coexistence avec le Prophète (saws). Aucune des deux parties ne devait intervenir dans les affaires religieuses de l’autre. Les tribus juives s’étaient engagées à ne soutenir aucun ennemi du Prophète (saws) ou des musulmans. L’expérience passée prouvait toutefois qu’elles pouvaient violer les clauses de leur traité s’il leur semblait que tel était leur intérêt. Un an ou deux auparavant, la tribu juive de Qaynuqâ’ avait adopté une attitude ouvertement hostile au Prophète (sws). Certains de ses membres avaient essayé de comploter contre les musulmans.

Tout cela s’était passé peu après l’éclatante victoire remportée par les musulmans lors de la bataille de Badr. Les musulmans étaient alors dans une position de force considérable, mais cela ne les avait pas dissuadé de comploter contre eux. Après le choc de la défaite d’Uhud et les trahisons d’ar-Rajî’ et Bi’r Ma’una, la tentation de nuire aux musulmans était trop importante pour être ignorée. Le Prophète (saws) devait donc être constamment à l’affût du moindre signe de trahison pouvant venir d’un côté ou de l’autre. Il était également judicieux qu’il saisisse la première occasion de mettre à l’épreuve la loyauté des uns et des autres.

La tribu des An-Nadir se montre hostile

Cette occasion se présenta lorsque Amir ibn Umayya, le seul compagnon du Prophète (saws) qui n’avait pas été tué à Bi’r Ma’una, rentra à Médine et relata au Prophète (saws) ce qui était arrivé à ses compagnons et ce que lui-même avait fait sur le chemin du retour. Le Prophète (saws) devait payer le prix du sang aux proches des deux hommes que Amr avait tués en revenant. L’Etat musulman de Médine étant encore très pauvre – en particulier parce que les muhâjirûn dépendaient financièrement de leurs frères les ansâr, qui les avaient accueillis très généreusement -, une aide extérieure était nécessaire dans la circonstance.

Le Prophète (saws) alla donc trouver la tribu juive d’an-Nadîr, qui était alliée des ‘Amir. Il demanda à leurs chefs de contribuer au paiement du prix du sang. Quand il eut expliqué le but de sa visite, ils se montrèrent prêts à lui donner satisfaction. Ils prirent soin de lui témoigner du respect, s’adressant à lui par son titre d’Abû al-Qâsim, c’est-à-dire père de son premier fils al-Qâsim (mort en bas âge). Ils lui dirent : « Nous allons certainement t’aider dans cette affaire. »

Le Prophète (saws) était venu avec quelques-uns de ses compagnons, dont Abu Bakr, ‘Umar et Alî. Il s’assit avec ses compagnons près d’une maison appartenant aux juifs. Les chefs de la tribu d’an-Nadîr les y laissèrent, donnant à penser qu’ils allaient réunir de l’argent pour contribuer au paiement de la compensation dont le Prophète était redevable. Lorsqu’ils se retrouvèrent seuls, certains dirent : « Jamais vous ne trouverez en cet homme une proie aussi facile qu’en ce moment. Qu’un homme fort monte sur le toit de la maison à côté de laquelle Muhammad est assis et lui fasse tomber une grosse pierre ou un rocher sur la tête pour nous en débarrasser. »

L’un deux, Amr ibn Jihâsh ibn Ka’b, se porta volontaire pour commettre cette félonie. Cependant, le Prophète (saws) fut informé par Dieu du dessein de la tribu d’an-Nadîr : il laissa ses compagnons là où ils se trouvaient, donnant l’impression qu’il allait bientôt revenir, et rentra tout droit à Médine. Quand les compagnons du Prophète (saws) qui étaient venus avec lui, commencèrent à s’inquiéter de son absence prolongée, ils partirent à sa recherche.

Ils rencontrèrent bientôt un homme venant de Médine qui leur dit qu’il l’avait vu entrer dans la ville. Ils repartirent immédiatement pour Médine et y retrouvèrent le Prophète (saws), qui les informa du complot en préparation. Le Prophète (saws) ayant quitté les lieux et échappé à la tentative d’assassinat, les an-Nadîr n’avaient aucune raison de poursuivre leur complot. Ils comprenaient qu’ils avaient manqué l’occasion de parvenir à leurs fins et espéraient que le Prophète (saws) ne leur avait échappé que par coïncidence. Ils ne savaient pas qu’il avait été averti.

Ils devaient bientôt apprendre que la trahison ne pouvait rester impunie. Après tout, les an-Nadîr n’avaient strictement aucune raison d’attenter à la vie du Prophète (saws), à qui ils étaient liés par un traité de coexistence pacifique et de coopération. Leur action était uniquement motivée par leur haine implacable du Prophète (saws) et de l’Islam.

Le Prophète (saws) envoya l’un de ses compagnons, Muhammad ibn Maslama, à la tribu d’an-Nadîr avec le message suivant : « Quittez la ville. Vous n’êtes plus autorisés à la partager avec moi maintenant que vous avez ourdi votre complot contre moi. Je vous donne dix jours pour mettre cet ultimatum à exécution. Quiconque d’entre vous serait vu à Médine après cela serait exécuté. » Le message était parfaitement clair et ne permettait aucun compromis. Dans la situation de Médine, où trois communautés différentes, Arabes païens, juifs et musulmans, vivaient côte à côte, une trahison flagrante ne pouvait être tolérée.

Toute sédition interne devait être maîtrisée immédiatement, avec toute la fermeté et la détermination nécessaires, afin que chacun sache que toute trahison serait sévèrement sanctionnée. La tribu d’an-Nadîr commença à préparer leur évacuation. Les termes de l’ultimatum leur permettaient d’emporter tous leurs biens et de désigner des agents pour s’occuper de leurs fermes et de leurs vergers. On voit donc que ces termes étaient hautement humains. Il n’était pas question de les déposséder de leurs biens.

Puisqu’à eux seuls ils n’étaient pas assez puissants pour affronter militairement les musulmans, le bon sens aurait par conséquent voulu qu’ils partent sans faire de difficultés. Toutefois, un fait nouveau les fit revenir sur leur position. Ils reçurent un message de Abdullâh ibn Ubayy, le chef de file des hypocrites, celui-là même qui avait divisé l’armée musulmane avant la bataille d’Uhud et déserté avec trois cents de ses partisans. Il leur demandait de rejeter l’ultimatum du Prophète (saws) et de refuser de quitter Médine. Il leur promettait son soutien, affirmant qu’il disposait de deux mille hommes prêts à combattre avec eux. Ils étaient prêts à prendre position dans leurs forts pour se battre à leurs côtés et aux côtés de la tribu Juive de Qurayza.

La tribu arabe de Ghatafân, alliée de celle d’an-Nadîr, viendrait aussi à la rescousse. Abdullâh ibn Ubayy s’engageait aussi à ce que ses propres contribules les soutiennent jusqu’au bout, allant jusqu’à quitter eux aussi Médine si la tribu d’an-Nadîr était contrainte à évacuer. Huyay ibn Akhfab, le chef de la tribu d’an-Nadîr, fut vivement intéressé par l’offre de Abdullâh ibn Ubayy. Il y vit une excellente occasion de vaincre les musulmans. Après tout, le moral des musulmans devait, pensait-il, être au plus bas après leur défaite d’Uhud et le massacre de leurs compagnons à ar-Rajî’ et Bi’r Ma’una. Il envoya donc un message au Prophète : « Nous ne sommes pas disposés à évacuer nos demeures. Nous résisterons à toute tentative de nous expulser. Agis comme bon te semblera. »

Lorsque le Prophète reçut ce message, ses compagnons et lui-même glorifièrent Dieu en disant : « Ils ont décidé de se battre. » Les musulmans se mobilisèrent et le Prophète (saws) partit à la tête d’une force considérable, avec Alî comme porte-drapeau, après avoir chargé son compagnon Ibn Umm Maktûm de le remplacer à Médine. Ils encerclèrent le district des juifs d’an-Nadîr, qui se retirèrent dans leurs forts en attendant le soutien de Abdullâh ibn Ubayy et de leurs coreligionnaires de la tribu de Qurayza. Ils s’armèrent de flèches et d’autres projectiles en prévision de la bataille à venir.

Tous ces événements sont évoqués dans le Coran, à la sourate 59 intitulée al-Hashr (L’Exode). Au sujet de la promesse des hypocrites, le Coran dit :

N’as-tu vu les hypocrites disant à leurs confrères qui ont mécru parmi les gens du Livre : « Si vous êtes chassés, nous partirons certes avec vous et nous n’obéirons jamais à personne contre vous; et si vous êtes attaqués, nous vous secourrons certes » Et Allah atteste qu’en vérité ils sont des menteurs. S’ils sont chassés; ils ne partiront pas avec eux; et s’ils sont attaqués, ils ne les secourront pas; et même s’ils allaient à leur secours, ils tourneraient sûrement le dos; puis ils ne seront point secourus.

(Coran : sourate 59, versets 11-12)

C’était bien vrai. La tribu des an-Nadîr attendait les renforts, mais ceux-ci n’arrivaient pas. Ni leurs alliés de Ghatafân, ni leurs coreligionnaires de Qurayza, ni leurs partisans les hypocrites ne vinrent à leur secours. Le siège se poursuivait et la situation devenait de plus en plus difficile. Le Prophète (saws) ordonna de brûler certains de leurs palmiers. Lorsque cet ordre fut exécuté, les an-Nadîr lui envoyèrent un message demandant pourquoi il agissait ainsi alors qu’il avait toujours réprouvé ce type d’action. Le Coran indique clairement que dans ce cas, l’acte était approuvé par Dieu.

Le siège se poursuivit pendant vingt-six jours. Chez les assiégés, la nervosité et la peur commençaient à se faire sentir. Ils envoyèrent dire au Prophète (saws) qu’ils étaient prêts à évacuer selon les conditions initiales de l’ultimatum. Le Prophète (saws) répondit à leur message qu’ils ne pouvaient plus bénéficier des mêmes conditions que celles qu’il leur avait proposées en premier lieu. S’ils avaient évacué pacifiquement, ils auraient évité d’avoir des ennuis. Mais le fait qu’ils avaient voulu s’allier avec d’autres contre le Prophète (saws) et les musulmans montrait qu’ils seraient encore prêts à le faire si une nouvelle occasion se présentait.

Le Prophète (saws) était néanmoins conscient que toute dissension interne devait être résolue au plus vite et avec le minimum d’effusion de sang. Les musulmans ne sont jamais prompts à faire couler le sang. Puisqu’ils étaient prêts à quitter les lieux, le Prophète (saws) était prêt à les laisser partir sous de nouvelles conditions. Ils seraient libres de quitter Médine avec leurs femmes et leurs enfants. Chacun d’eux emporterait un chameau chargé de ses biens, mais les armes ne seraient pas autorisées. Ils devraient abandonner leurs fermes et leurs terres.

Ils emportèrent donc ce qu’ils purent sur leurs chameaux, emmenèrent leurs femmes et leurs enfants et partirent pour Khaybar, une ville d’Arabie où les juifs étaient nombreux. Certains se rendirent en Syrie. Ceux qui possédaient des biens immobiliers les détruisirent avant de partir afin que les musulmans ne puissent pas en bénéficier. Dieu dit dans le Coran :

C’est Lui qui a expulsé de leurs maisons, ceux qui parmi les gens du Livre qui ne croyaient pas, lors du premier exode. Vous ne pensiez pas qu’ils partiraient, et ils pensaient qu’en vérité leur forteresse les défendraient contre Allah. Mais Allah est venu à eux par où ils ne s’attendaient point, et à lancé la terreur dans leurs coeurs. Ils démolissaient leurs maisons de leurs propres mains, autant que des mains des croyants. Tirez-en une leçon, ô vous qui êtes doués de clairvoyance.

(Coran : sourate 59, verset 2)

Ainsi s’acheva le conflit. Les musulmans n’eurent pas besoin de se battre et aucun sang ne fut versé. La position des musulmans de Médine était désormais beaucoup plus solide après le départ de cette tribu. Les hypocrites apparaissaient bien faibles.

Après l’évacuation

Le Prophète (saws) partagea uniquement entre les muhâjirûn les terres et les biens laissés par les an-Nadîr après leur reddition. Seuls deux des ansâr, Sahl ibn Hanîf et Abu Dujâna, eurent droit à une part. Il s’écartait en cela de sa pratique habituelle dans la répartition des butins de guerre, ce qui nécessite une explication.

A Badr, les butins de guerre étaient le produit d’une bataille majeure entre les musulmans et les négateurs, où les musulmans avaient mené une lutte difficile. Le conflit avec les juifs d’an-Nadîr n’avait par contre nécessité aucun combat. Aucune arme n’avait été utilisée, personne ne s’était battu. Les biens acquis par les musulmans à l’issue de cette confrontation appartiennent à une autre catégorie que les butins de guerre et ne sont donc pas traités de la même façon. Dans la terminologie musulmane, ce type de biens s’appelle fay’, et le principe établi est que le fay’ revient à l’État musulman. La manière dont il convient de le répartir est expliquée dans le Coran :

Le butin provenant [des biens] des habitants des cités, qu´Allah a accordé sans combat à Son Messager, appartient à Allah, au Messager, aux proches parents, aux orphelins, aux pauvres et au voyageur en détresse, afin que cela ne circule pas parmi les seuls riches d´entre vous. Prenez ce que le Messager vous donne; et ce qu´il vous interdit, absentez-vous en; et craignez Allah car Allah est dur en punition.

(Coran : sourate 59, verset 7)

Ce verset indique clairement que la totalité du fay’ appartient à l’autorité musulmane. C’est donc au chef de cet État de le répartir, entre ceux qui peuvent y prétendre sur la base de ce verset. Le terme « à ses proches » se réfère à la famille du Prophète (saws) : celle-ci n’a pas droit à une part de la zakât et ne peut hériter du Prophète (saws), ce qui est compensé par une part du fay’.

Ce verset coranique établit aussi une règle cruciale du système économique et social de l’Islam : la règle en vertu de laquelle l’argent ne doit pas rester uniquement entre les mains des riches. L’Islam autorise la propriété privée, mais celle-ci n’est considérée comme légitime que dans la mesure où les pauvres ont droit à une part des biens des riches de la communauté.

De fait, tout le système économique de l’Islam est basé sur ce principe. Le système de la zakât et celui de l’héritage sont deux facteurs importants contribuant à la répartition des richesses dans la société musulmane qui, d’une manière générale, milite contre l’apparition d’une classe aristocratique minoritaire monopolisant la majeure partie des richesses de la communauté. La règle établie quant à la distribution du fay’ contribue à remédier à toute situation créant un déséquilibre entre différents secteurs de la société musulmane.

Les muhâjirûn, qui avaient émigré de La Mecque en laissant derrière eux tous leurs biens, étaient toujours une charge pour leurs frères les ansâr. Certains d’entre eux étaient parvenus à assurer leur autonomie en travaillant, mais la plupart partageaient encore les ressources de leurs frères médinois. Le Prophète (saws) avait maintenant la possibilité de remédier à cette situation.

Il appela les ansâr et leur parla, les félicitant pour leur bonté, leur générosité et la manière dont ils avaient traité leurs frères les muhâjirûn. Puis il leur dit : « Je partagerai ce fay’ que Dieu m’a accordé de la tribu d’an-Nadîr entre les muhâjirûn et vous, si vous le désirez ; dans ce cas, ils continueront à vivre dans vos maisons avec vous et à avoir une part de vos biens. Ou bien, je répartirai le fay’ entre eux et ils quitteront vos maisons, si vous préférez. »

Sa’d ibn ‘Ubâda et Sa’d ibn Mu’adh, les deux chefs des ansâr, répondirent :
« Répartis-le entre eux, et nous serons heureux qu’ils continuent à vivre dans nos maisons comme maintenant. » Les autres membres des ansâr approuvèrent la décision de leurs chefs, et le Prophète (saws) invoqua Dieu pour eux et pour leurs enfants.

Les deux hommes des ansâr qui reçurent aussi une part du fay’, Abu Dujâna et Sahl Ibn Hanîf, étaient pauvres. Ils étaient apparemment les deux seuls pauvres des ansâr, et c’est pour cette raison qu’ils reçurent une part du fay’. Il est donc clair que le Prophète (saws) cherchait à rectifier le déséquilibre existant au sein de la communauté musulmane. Les muhâjirûn n’avaient aucune raison de recevoir lefay’ au détriment des autres, si ce n’est leur pauvreté. Tout dirigeant musulman doit ainsi identifier les pauvres de sa communauté et leur distribuer le fay’ qui peut être en sa possession.

L’affrontement avec la tribu d’an-Nadîr, venant juste après les revers d’Uhud, ar-Rajî’ et Bi’r Ma’ûna, remonta le moral des musulmans. Ils obtenaient une victoire totale dont eux-mêmes n’avaient pas rêvé. L’ennemi intérieur était durement frappé. De fait, la victoire des musulmans mortifiait tous leurs autres ennemis. Bien que les Quraysh soient restés en dehors de l’incident, la victoire des musulmans signifiait qu’ils se trouvaient maintenant bien mieux placés en cas de nouvel affrontement entre les deux parties. Les autres tribus juives hostiles qui restaient à Médine se retrouvaient beaucoup plus faibles après l’expulsion de leurs coreligionnaires.

Les hypocrites arabes de Médine, qui s’étaient montrés totalement incapables de prendre part à un conflit armé contre les musulmans, étaient très affaiblis par l’expulsion de leurs alliés. Ils comprenaient maintenant qu’il ne leur restait plus d’espoir de reprendre le contrôle de Médine, à moins que les Quraysh et les autres alliés arabes n’obtiennent une victoire décisive sur les musulmans, ce qui ne semblait pas du tout probable dans les circonstances actuelles.

L’expédition d’al-Mustalaq et la calomnie

Depuis quelques années, les hypocrites de Médine jouaient un vilain jeu contre les musulmans. Leur méchanceté et leur haine de l’Islam se manifestaient à chaque fois que les musulmans subissaient un revers. Ils s’empressaient au contraire de réprimer leurs véritables sentiments et de faire mine d’être loyaux envers l’Islam dès que les musulmans obtenaient une victoire significative. Cela n’empêchait toutefois pas les hypocrites de recourir aux sarcasmes et aux railleries ni de diffuser des fausses rumeurs à chaque fois que l’occasion se présentait.

La haine que les hypocrites vouaient à l’Islam augmentait d’ailleurs au fur et à mesure que l’autorité des musulmans se consolidait. Nous avons vu comment ils avaient essayé de persuader les tribus juives de se battre contre les musulmans, en leur promettant un soutien qu’ils n’avaient néanmoins pas donné lorsqu’ils avaient compris que la victoire des musulmans était inévitable.

Les hypocrites continuaient à s’efforcer de pousser les autres à combattre l’Islam. Quant à eux, ils préféraient tenter de déstabiliser l’Islam de l’intérieur. Le meilleur exemple de leur stratégie et de leur déloyauté est donné par les événements qui dirent lieu lors de l’expédition du Prophète  contre la tribu d’al-Mustalaq.

Une attaque préventive

Le Prophète (saws) fut informé que cette tribu, menée par son chef al-Hârith ibn Abî Dirâr, s’apprêtait à attaquer Médine. Fidèle à sa stratégie efficace qui consistait à prendre ses ennemis par surprise avant qu’ils n’aient le temps de lancer leur attaque, le Prophète (saws) marcha sur l’ennemi à la tête d’une importante troupe de musulmans. Le Prophète (saws) avait l’habitude, lorsqu’il partait en expédition, d’emmener avec lui au moins l’une de ses épouses. Il tirait au sort entre elles pour décider laquelle partirait avec lui. Cette fois, il emmena Aïsha.

L’expédition fut marquée par le nombre important d’hypocrites qui se joignirent à l’armée musulmane. Habituellement, ils ne participaient pas aux troupes mobilisées par le Prophète (saws). On se rappelle comment, lors de la bataille d’Uhud, leur chef de file Abdullâh ibn Ubayy avait abandonné l’armée avant la bataille avec trois cents de ses partisans. Depuis lors, les hypocrites n’avaient pris part à aucune expédition jusqu’à ce que le Prophète parte affronter la tribu d’al-Mustalaq.

Deux raisons évidentes motivaient le changement de tactique des hypocrites. Les récents affrontements entre les musulmans et leurs ennemis avaient tous été des succès. En outre, les musulmans avaient gagné sans verser le sang, ou presque. Il n’y avait pas de raison que la même chose ne se reproduise pas cette fois-ci. Il s’agissait d’une confrontation avec une seule tribu arabe, peut-être militairement inférieure aux musulmans.

On pouvait s’attendre à la victoire et à un butin important. Les hypocrites pensaient donc ne pas risquer grand-chose en se joignant à l’armée musulmane, et comptaient sur l’occasion d’obtenir une part du butin. L’armée musulmane poursuivit sa route jusqu’à un point d’eau appelé al-Maraysî’ où al-Hârith et ses hommes s’étaient rassemblés. Nous possédons deux versions différentes des événements qui se produisirent alors.

Le premier récit, qui est peut-être moins authentique, relate que le Prophète (saws) aurait demandé à son compagnon ‘Umar ibn al-Khattâb d’inviter la tribu d’al-Mustalaq à embrasser l’Islam. Il s’avança et leur cria de déclarer leur foi en l’unicité divine, après quoi ils auraient la vie sauve et on ne toucherait pas à leurs biens. Ils rejetèrent l’offre, et les deux côtés commencèrent à se lancer des flèches. Au bout d’un moment, le Prophète (saw) ordonna l’assaut. Les musulmans eurent très vite le dessus sur leurs ennemis, qui se rendirent en masse après que dix d’entre eux eurent été tués. Seul un soldat musulman fut tué par erreur. Ainsi, la tribu entière fut prise par les musulmans, de même que ses possessions.

L’autre récit, qui paraît dans l’ensemble plus exact, suggère que les musulmans prirent leurs ennemis par surprise tandis qu’ils campaient près du point d’eau. Les deux armées se rapprochèrent l’une de l’autre, mais les combats furent minimes ou inexistants. La victoire fut rapidement assurée aux musulmans. Quelle que soit la version correcte, l’issue de l’expédition ne fait aucun doute : la tribu entière fut faite prisonnière par les musulmans.

Il convient d’expliquer ici que, bien que le Prophète (saws) ait souvent utilisé l’élément de surprise dans ses batailles avec les négateurs, il ne lança jamais d’attaque surprise déployant toute sa force militaire contre des gens qui n’étaient pas préparés à la guerre. Ce type de surprise, employé à la guerre autrefois comme aujourd’hui, ne fit jamais partie de sa tactique. Il se contentait de réagir rapidement en affrontant ses ennemis avant qu’ils n’aient achevé leurs préparatifs. Nous voyons ainsi que le Prophète (saws) utilisait l’élément de surprise afin de réduire autant que possible l’affrontement armé et les effusions de sang.

Selon les traditions en vigueur à l’époque, aussi bien en Arabie qu’au-delà, les prisonniers de guerre étaient réduits en esclavage. Cela concernait aussi bien les hommes que les femmes. Deux cents familles de la tribu d’al-Mustalaq se trouvaient donc confrontées à la perspective de l’esclavage à la suite de leur projet mal avisé d’attaquer les musulmans.

Toutefois, le Prophète (saws) n’aimait pas cette perspective pour ses ennemis vaincus. Sa vision des choses différait de celle des rois et des empereurs. Il était avant tout un messager de Dieu dont la tâche était de sauver l’humanité de la soumission aux fausses divinités. Il était conscient qu’un acte de bonté pourrait gagner le coeur des ennemis d’hier.

Le Prophète (saws) ne pouvait cependant pas promulguer de lois spéciales pour la tribu d’al-Mustalaq. L’esclavage étant une pratique internationale, les musulmans ne pouvaient pas l’abolir de manière unilatérale. Si des musulmans avaient été faits prisonniers lors d’une bataille, ils auraient été réduits en esclavage par leurs ennemis. Les prisonniers ennemis devaient par conséquent être traités de la même manière. Néanmoins, la situation nécessitait des mesures immédiates pour venir en aide aux al-Mustalaq avant qu’il ne soit trop tard.

Le Prophète (saws) employa une tactique magistrale qui produisit le résultat recherché sans aucune répercussion négative. Parmi les captives figurait Barra, la fille d’al-Hârith, le chef d’al-Mustalaq. Le Prophète (saws) la prit pour lui-même, la libéra de l’esclavage et la demanda en mariage. Quand elle accepta, il l’épousa et la renomma Juwayriya. Lorsqu’ils comprirent ce que le Prophète (saws) avait fait, les musulmans ne se sentirent pas le droit de garder les al-Mustalaq comme esclaves. Dans l’optique des traditions tribales d’Arabie, toute la tribu était considérée comme la belle-famille du Prophète (saws) maintenant qu’il avait épousé l’une de ses femmes.

Par conséquent, tous les musulmans qui avaient des esclaves d’al-Mustalaq les libérèrent volontairement. Les musulmans aimaient le Prophète (saws) plus qu’eux-mêmes, il était donc naturel qu’ils répugnent à garder ses proches en esclavage. Ainsi Juwayriya fut-elle célébrée par sa tribu comme une femme bénéfique entre toutes : c’était grâce à elle que ses contribules étaient passés de l’esclavage à la liberté. Peu après, un grand nombre d’entre eux embrassèrent l’Islam.

C’était une victoire magnifique que les musulmans avaient obtenue lors de l’expédition d’al-Mustalaq. Ils avaient toutes les raisons d’être satisfaits de leur succès. Non seulement ils avaient remporté une victoire totale, mais ils avaient aussi obtenu des gains matériels considérables, outre le succès le plus important que constituait la conversion de leurs ennemis, qui devenaient ainsi leurs amis et leurs frères. Il était toutefois bien naturel que les très nombreux hypocrites qui s’étaient joints à l’armée musulmane pour cette expédition fassent tout ce qui était en leur pouvoir pour gâcher cette victoire et faire oublier les gains des musulmans. Deux incidents qui eurent lieu après ce succès furent exploités par les hypocrites ou détriment des musulmans.

Dissensions musulmanes

Le premier incident se produisit alors que les musulmans campaient encore après du point d’eau où s’était déroulée la bataille. Des serviteurs allaient abreuver des chevaux. Parmi eux se trouvait Jahjâh, le serviteur de ‘Umar ibn al-Khattâb. Il semble que les serviteurs se disputèrent pour l’eau, et Jahjâh se bagarra avec un « allié » des Khazraj du nom de Sinân ibn Wabr. Ni l’un ni l’autre n’étaient apparemment très clairvoyants : au terme d’un échange de coups, chacun appela son « groupe » au secours. Jahjâh appela les muhâjirûn à la rescousse, tandis que Sinân appelait les ansâr. On sait bien que les loyautés anciennes sont difficiles à effacer.

Malgré les immenses efforts, couronnés de succès, déployés par le Prophète (saws) pour que les musulmans éprouvent le sentiment de former une seule communauté quelle qu’ait pu être leur appartenance tribale ou nationale, on ne pouvait pas s’attendre à ce que des valeurs ancestrales soient oubliées du jour au lendemain. Selon les valeurs tribales, tout membre d’une tribu se trouvant en difficulté était défendu par toute la tribu avant même qu’on ne prenne le temps de déterminer s’il était ou non dans son tort. On disait : « Soutiens ton frère, qu’il ait raison ou tort. »

Il ne faut donc pas s’étonner que certains individus soient accourus au secours des combattants. Le Prophète (saws) fut informé de ce qui se passait. Il était très en colère de voir les musulmans se battre entre eux. Il se hâta de se rendre au point d’eau où l’incident se déroulait. S’adressant sévèrement aux musulmans, il demanda : «Comment se fait-il que vous invoquiez les loyautés de l’époque païenne ? » Il calma les deux camps et leur expliqua clairement que les loyautés tribales et nationales qu’ils invoquaient n’étaient pas dignes d’eux.

Décrivant ces liens comme « nauséabonds », il ordonna aux musulmans de s’en défaire totalement. Il est important de noter que le Prophète (saws) s’empressa de mettre un terme à toute division tribale ou chauvine parmi les musulmans. Il ne craignait rien autant que les dissensions internes au sein de sa jeune communauté. Ceci devrait servir à rappeler à tous les musulmans que leurs différences ne devraient en aucun cas les diviser en camps mutuellement hostiles, alors qu’ils sont unis par le lien de l’Islam.

Les musulmans peuvent avoir des différences de point de vue, mais ces différences ne doivent pas aliéner un groupe d’un autre. Ils doivent toujours considérer tous les autres musulmans comme des frères auxquels les liens les plus solides les attachent. La communauté musulmane doit toujours rester une communauté une et solidaire où règnent l’affection et la compassion mutuelles.

L’incident du point d’eau fournit aux hypocrites un prétexte idéal pour susciter le trouble. Leur chef ‘Abdullâh ibn Ubayy fit de son mieux pour attiser les rancunes qui pouvaient persister après l’intervention du Prophète (saws). Comme il jouissait encore d’une haute considération parmi la plupart de ses contribules qui n’étaient pas encore conscients de son hypocrisie, il s’efforça de jouer sur leurs émotions.

À son entourage, il dit : « Je n’ai jamais connu d’humiliation comme celle que nous avons subie aujourd’hui. Ils [les muhâjirûn] nous tiennent maintenant tête chez nous. Ils ne sont pas reconnaissants pour nos faveurs. Notre situation avec les réfugiés de Quraysh est la meilleure illustration du proverbe : « Engraisse ton chien et il te mordra. » Quand nous rentrerons à Médine, le camp des honorables en chassera certainement celui des humbles. » Puis il reprocha à ses contribules l’hospitalité qu’ils avaient accordée aux muhâjirûn :

Tout cela est de votre faute. Vous les avez, accueillis dans vos maisons et vous leur avez donné vos biens jusqu’à ce qu’ils s’enrichissent. Je jure que si vous cessez de les aider de vos biens, ils vous quitteront et iront ailleurs. Pourtant, vous n’êtes pas satisfaits de toute l’hospitalité que vous avez prodiguée. Vous vous êtes exposés au danger et vous avez envoyé vos hommes se battre et se faire tuer pour les défendre. Vous avez rendu vos enfants orphelins. Vous avez réduit votre nombre, tandis que le leur augmente. Je vous conseille de ne plus rien dépenser pour les aider jusqu’à ce que vous les voyiez partir.

En prononçant ces paroles, ‘Abdullâh ibn Ubayy ne prêta guère attention à la présence d’un garçon d’environ quatorze ans, Zayd ibn Arqam. Celui-ci alla tout droit voir le Prophète (saws), qui se trouvait avec un groupe de ses compagnons des muhâjirûn et des ansâr. Zayd relata au Prophète (saws) ce qu’il avait entendu Abdullâh Ibn Ubayy dire. Le Prophète (saws) en fut peiné et son visage s’altéra. Il ne voulait cependant pas agir sur la base du récit d’un jeune garçon sans s’assurer qu’il disait la vérité.

Il demanda à Zayd : « As-tu une quelconque raison de lui en vouloir ? » Zayd répondit : « Je jure que je l’ai entendu dire cela. » Le Prophète lui demanda encore : « Peut-être n’as-tu pas bien entendu ? » Zayd répondit qu’il n’y avait aucun risque de cela. Le Prophète insista : « Peut-être as-tu seulement imaginé l’entendre dire cela ? » Zayd répondit encore : « Je jure devant Dieu que je l’ai entendu dire tout cela, Messager de Dieu. »

Réaction du Prophète

Il était désormais clair pour le Prophète (saws), comme pour ceux de ses compagnons qui étaient près de lui, que les propos de ‘Abdullâh ibn Ubayy avaient été rapportés fidèlement. ‘Umar ibn al-Khattâb suggéra que le Prophète (saws) ordonne à Abbâd ibn Bishr de tuer Abdullâh ibn Ubayy. Le Prophète (saws) répondit : « Aimerais tu, ‘Umar, que les gens commencent à dire que Muhammad tue ses compagnons ? Je ne ferai certainement pas cela. Donne seulement le signal du départ. »

Abdullâh ibn Ubayy apprit que ses paroles avaient été rapportées au Prophète (saws). Il s’empressa d’aller le trouver et nia avoir connaissance des propos qui lui avaient été attribués. Il jura devant Dieu n’avoir jamais rien dit de tel. Ceux des compagnons du Prophète (saws) qui étaient présents essayèrent de calmer le jeu. Ils souhaitaient toujours que Abdullâh ibn Ubayy ait une chance de devenir musulman. Après tout, il avait joui d’une position honorable parmi les siens avant l’avènement de l’Islam.

Ils suggérèrent au Prophète (saws) que Zayd ibn Arqam s’était peut-être trompé en relatant les propos de Abdullâh, ou avait peut-être mal entendu. Le Prophète (saws) garda le silence. Quand l’ordre de se mettre en marche fut donné, Usayd ibn Hudayr, un notable des ansâr vint trouver le Prophète (saws), le salua avec tout le respect dû au Messager de Dieu et dit : « Prophète, je vois que tu te mets en route à un moment de la journée où tu n’avais pas l’habitude de le faire. » Le Prophète répondit : « N’as-tu pas entendu ce qu’a dit votre ami ? »

Usayd demandant plus de détails, le Prophète (saws) lui répondit que ‘Abdullâh ibn Ubayy avait dit que les honorables parmi les deux camps chasseraient les humbles de Médine. Usayd répliqua : « Certes, Messager de Dieu. Tu peux les chasser de Médine si tu le souhaites. C’est toi qui es honorable, et c’est lui qui est humble. » Puis Usayd fit appel à la clémence du Prophète (saws) et lui dit : « Dieu t’a envoyé parmi nous au moment où ses concitoyens s’apprêtaient à le couronner roi. Il pense peut-être que tu l’as dépouillé de son royaume. »

Le Prophète (saws) fit marcher les musulmans le reste de la journée et toute la nuit, et il poursuivit sa route jusqu’au milieu de la matinée suivante. La chaleur étant alors intenable, il permit à ses compagnons de s’arrêter. À peine assis, tous s’endormirent. Le Prophète (saws) agit ainsi afin que les gens ne soient pas préoccupés par ce que Abdullâh ibn Ubayy avait dit.

Le Prophète (saws) était conscient que ces remarques pernicieuses risquaient de susciter des dissensions parmi les musulmans. S’il fatiguait ainsi les musulmans en les faisant cheminer la majeure partie du temps et en leur accordant le moins de repos possible, il pouvait espérer que l’affaire soit oubliée avant que l’armée n’arrive à Médine. La vitesse et la précipitation marquèrent donc le retour des musulmans de leur expédition victorieuse contre la tribu d’al-Mustalaq.

Peu après, la sourate intitulée al-Munâfiqûn (Les hypocrites) fut révélée. Elle décrit les hypocrites et leurs sentiments vis-à-vis des musulmans, répétant aussi les paroles mêmes prononcées par Abdullâh ibn Ubayy et rapportées au Prophète (saws) par Zayd ibn Arqam. La véracité du récit de Zayd ne faisait plus aucun doute. Le Prophète (saws), tenant Zayd par l’oreille, dit : « Voici celui qui a fait bon usage de son oreille pour la cause de Dieu. »

Abdullâh ibn Ubayy avait un fils, lui aussi nommé Abdullâh. Contrairement à son père, ‘Abdullâh était un croyant sincère, profondément convaincu de la véracité du message de Muhammad (saws). Le Prophète (saws) était d’ailleurs si sûr de la fermeté de la foi de Abdullâh qu’il l’avait désigné pour le remplacer en son absence lorsqu’il avait mené l’armée musulmane à la dernière expédition de Badr. ‘Abdullâh était aussi un fils dévoué.

L’opposition de son père au Prophète (saws) l’affligeait et il aurait tout fait pour le ramener au sein de la communauté musulmane. Lorsqu’il apprit les propos malfaisants que son père avait tenus à l’encontre du Prophète (saws) et des muhâjirûn, il comprit qu’il avait commis un crime capital. Il apprit aussi que certains compagnons du Prophète (saws) lui avaient conseillé de se débarrasser de Abdullâh ibn Ubayy. Abdullâh, le fils, alla voir le Prophète (saws) et lui dit :

Messager de Dieu, j’ai entendu dire que tu as l’intention de tuer ‘Abdullâh ibn Ubayy pour ses propos qu’on t’a rapportés. Si tu dois le tuer, il te suffira de me l’ordonner et je te rapporterai sa tête. La tribu d’al-Khazraj [la sienne] sait parfaitement que je suis le plus dévoué des fils. Je crains toutefois, si tu ordonnais à quelqu’un d’autre de le tuer, de ne pas pouvoir regarder le meurtrier de mon père marcher dans la rue. Je serais peut-être tenté de le tuer : je tuerais alors un croyant pour venger la mort d’un négateur, et je serais voué à l’Enfer.

Le Prophète (saws) sourit et le calma. Il dit à Abdullâh : « Tu seras bon envers lui et tu le traiteras bien aussi longtemps qu’il sera parmi nous. »

Cet épisode et le suivant, où Abdullâh ibn Ubayy joua un rôle central, suffirent à faire prendre conscience à tous les musulmans de sa véritable position vis-à-vis de l’Islam. Abdullâh ibn Ubayy resta à Médine et ne perdit pas une occasion de dire du mal de l’Islam et du Prophète (saws). Sa crédibilité était cependant érodée. Chaque fois qu’il faisait ou disait quelque chose, ses contribules étaient les premiers à le lui reprocher et à tenter de lui montrer son erreur.

Quand cela devint clair, le Prophète (saws) dit à ‘Umar ibn al-Khattâb, qui le premier avait suggéré de tuer ‘Abdullâh ibn Ubayy : « Vois-tu maintenant, ‘Umar ? Si je l’avais tué quand tu l’as suggéré, cela aurait soulevé la colère de certains, alors qu’ils seraient eux-mêmes prêts à le tuer maintenant si je leur en donnais l’ordre. » ‘Umar répondit : « Je sais assurément que le Messager de Dieu est mieux informé que moi et que ses actions sont plus bénies que les miennes. »

N’ayant pas réussi à diviser les musulmans, Abdullâh Ibn Ubay chercha à détruire la vie familiale du Prophète (saws). De son point de vue, n’envisageant que ce bas monde et doutant de la véracité du message prophétique, le but ultime semblait à portée de main. Abu Bakr, le père de Aïsha, était l’ami et le compagnon le plus proche du Prophète (saws). Leur amitié remontait à leur enfance. Si ‘Abdullâh ibn Ubayy parvenait à faire croire à l’accusation d’adultère contre ‘Aïsha, et il pensait y parvenir, ce serait la fin de cette solide amitié entre le Prophète (saws) et Abu Bakr, qui était une source de force pour la communauté musulmane depuis le début de la révélation. En outre, la communauté musulmane sombrerait dans la confusion et la peine.

La calomnie contre ‘Aïsha

La « calomnie » est le nom donné par Dieu dans le Coran à l’accusation portée par les hypocrites contre ‘Aïsha. C’est sans doute le récit de Aïsha elle-même qui fournit la vision la plus complète de cette affaire :

Chaque fois que le Prophète (saws) partait en voyage, il tirait au sort parmi ses femmes pour décider laquelle l’accompagnerait. Lors de l’expédition d’al-Mustalaq, le sort tomba sur moi et je partis avec lui. À l’époque, les femmes ne mangeaient pas beaucoup, c’est pourquoi elles étaient minces et légères. Pour voyager, je m’installais dans un palanquin qu’on plaçait alors sur le dos du chameau. Le palanquin fixé, le chamelier cheminait à ses côtés.

Quand le Prophète (saws) en eut fini avec cette expédition et eut pris le chemin du retour, il fit halte une nuit à un endroit non loin de Médine. Il n’y campa qu’une partie de la nuit avant d’appeler à reprendre la route. Les gens commencèrent à se préparer, et pendant ce temps je m’éloignai pour faire mes besoins. Je portais un collier, et je ne m’aperçus pas que je l’avais perdu avant de retourner au camp. Une fois de retour, je tâtai mon cou et, ne trouvant plus le collier, je le cherchai sur place mais ne le trouvai pas.

Les gens commençaient tout juste à se mettre en route. Je me dépêchai donc de retourner à cet endroit pour chercher mon collier, que je finis par trouver. Pendant ce temps, les gens qui préparaient mon chameau terminèrent leur tâche et soulevèrent le palanquin ; pensant que je m’y trouvais, ils le placèrent sur le dos du chameau et l’y fixèrent. Il ne leur vint pas à l’esprit que je n’étais pas à l’intérieur. Ils partirent donc, emmenant le chameau.

Quand je revins à l’emplacement du camp, il n’y restait plus personne. L’armée était partie. Je m’enveloppai donc de mes vêtements et je m’allongeai, consciente que lorsqu’on s’apercevrait de mon absence, quelqu’un viendrait me chercher. Je ne tardai pas à m’endormir. Safwân ibn al-Mu’attal, de la tribu de Sulaym, voyageait derrière l’armée.

Il avait apparemment été retenu par quelque affaire et n’avait pas passé la nuit au camp. Quand il vit une forme humaine allongée, il s’approcha de moi. Il me reconnut, car il m’avait vue avant qu’il ne nous soit ordonné de nous cacher aux regards. Il dit : Innâ li-Llâhi wa-innâ ilayhi râji’ûn, « c’est à Dieu que nous appartenons et c’est à Lui que nous retournerons ». Je me réveillai en l’entendant. Je ne répondis pas lorsqu’il me demanda pourquoi j’avais été laissée en arrière. Il fit cependant agenouiller son chameau et me demanda de le monter, ce que je fis.

Il mena le chameau par la bride, s’efforçant de rattraper l’armée. Personne ne s’aperçut de mon absence avant que l’armée ne fasse halte pour se reposer. Quand tout le monde se fut assis pour se délasser, Safwân apparut, conduisant son chameau sur lequel j’étais assise. Ce fut cela qui incita ces gens à inventer la calomnie. Toute l’armée en fut troublée, mais je n’étais au courant de rien.

Notons ici que lorsque Abdullâh ibn Ubayy vit approcher ‘Aïsha, il demanda qui elle était. Lorsqu’on lui dit que c’était ‘Aïsha, il s’exclama : « La femme de votre Prophète a passé toute la nuit avec un homme, et là voilà qui arrive sur son chameau qu’il mène par la bride ! » Cette remarque donna lieu à la calomnie qui fut répandue au sujet de ‘Aïsha. Lisons la suite du récit de Aïsha :

Peu après notre arrivée à Médine, je tombai gravement malade. Personne ne me dit rien de ce qui se passait. Le Prophète (saws) et mes parents eurent vent de l’histoire, mais ils ne l’évoquèrent pas devant moi. J’avais cependant l’impression que le Prophète n’était pas aussi gentil avec moi que d’habitude durant cette maladie. Quand il entrait, il demandait à ma mère qui s’occupait de moi : « Comment va votre fille ? » Il ne disait rien de plus. Peinée, je lui demandai la permission d’être soignée chez mes parents. Il accepta. Je m’y rendis, et je n’eus vent de rien.

Je fus malade pendant une vingtaine de jours, avant que mon état ne s’améliore. Contrairement à d’autres peuples, nous, les Arabes, n’avions pas de toilettes dans nos maisons. Cela nous semblait dégoûtant. Nous sortions de nuit pour aller faire nos besoins à l’écart de la ville. Les femmes n’y allaient que la nuit. Une nuit, j’étais sortie en compagnie d’Umm Mistah [la cousine d’Abû Bakr]. En marchant, elle se prit les pieds dans ses vêtements et tomba. Elle s’exclama : « Maudit soit Mistah ! » à propos de son propre fils.

Je protestai : « Ce n’est pas bien de parler ainsi d’un homme des muhâjirûn qui a combattu à Badr. » Elle me demanda : « Tu n’as donc pas appris ce qu’on raconte ? » Comme je la questionnais, elle me rapporta ce que les calomniateurs disaient sur mon compte. Je jure que je fus incapable de faire mes besoins ce soir-là. Je rentrai chez moi et je pleurai amèrement, au point que j’avais l’impression que mes pleurs allaient me briser. Je dis à ma mère : « Que Dieu te pardonne. Les gens disaient tout cela sur mon compte, et tu ne m’en as rien dit.»

Ma mère répondit : « Calme-toi, mon enfant. Toute jolie femme mariée à un homme qui l’aime suscitera toujours l’envie, surtout si elle le partage avec d’autres épouses. » Je m’exclamai : « Gloire à Dieu ! Que les gens puissent répéter pareille chose ! » Je pleurai amèrement toute la nuit, sans dormir un instant jusqu’au matin.

Le Prophète (saws) appela Alî ibn Abî Tâlib et Usâma ibn Zayd pour leur demander s’ils pensaient qu’il devrait divorcer. Usâma, convaincu de mon innocence, dit : « Messager de Dieu, elle est ta femme et tu n’as jamais rien eu à lui reprocher. Cette histoire est un mensonge flagrant. » ‘Alî dit : « Messager de Dieu, Dieu ne t’a imposé aucune restriction en ce qui concerne le mariage. Il y a beaucoup d’autres femmes qu’elle. Si tu
le juges bon, demande à sa servante : elle te dira la vérité. »

Le Prophète appela ma servante, Barîra, et lui demanda si elle avait remarqué quelque chose de suspect. Barîra répondit : « Par Celui qui t’a envoyé apporter la vérité, je n’ai rien d’autre à lui reprocher que le fait qu’étant si jeune, il lui arrive de s’assoupir en laissant les poules manger la pâte que j’ai pétrie. » Le Prophète s’adressa aux musulmans à la mosquée. Il leur dit : « Je n’ai rien vu de mal de la part de ma femme. Ces gens accusent aussi un homme de la part de qui je n’ai rien vu de mal. Il n’est jamais entré dans les appartements de mes femmes qu’en ma présence. »

Sa’d ibn Mu’âdh, le chef des Aws, dit : « Messager de Dieu, si ces hommes appartiennent aux Aws, notre tribu, nous t’en débarrasserons. Si, par contre, ils font partie de nos frères les Khazraj, tu n’as qu’un ordre à nous donner. » Sa’d ibn ‘Ubâda, le chef des Khazraj, qui jouissait d’une bonne réputation, se laissa cette fois emporter par ses sentiments tribaux et dit à Sa’d ibn Mu’âdh : « Par Dieu, tu ne les tueras pas. Tu dis cela seulement parce que tu sais qu’ils font partie des Khazraj. »

Usayd ibn Hudayr, un cousin de Sa’d ibn Mu’âdh, dit à Sa’d ibn ‘Ubâda : « Tu n’es qu’un hypocrite défendant d’autres hypocrites. » Des membres des deux tribus étaient très en colère et prêts à se battre. Le Prophète (saws), qui était toujours en chaire, s’efforça de les calmer et finit par y parvenir. Quant à moi, je continuai à pleurer le reste de la journée. Je n’arrivais pas à dormir. Le lendemain matin, mon père et ma mère étaient tous deux avec moi ; j’avais passé deux nuits et une journée à pleurer sans discontinuer.

Mes parents craignaient que mes pleurs ne me brisent le coeur. Comme nous étions dans cette situation, une femme des ansâr vint me voir et se mit à pleurer avec moi. Peu après, le Prophète (saws) vint et s’assit. Il ne s’était pas assis dans ma chambre depuis que la rumeur avait commencé. Pendant un mois, il n’avait reçu aucune révélation à mon sujet. Une fois assis, il loua et glorifia Dieu avant de poursuivre : « Aïsha. Les gens parlent, comme tu le sais maintenant. Si tu es innocente, Dieu fera apparaître ton innocence. Si toutefois tu as commis un péché, tu dois implorer le pardon de Dieu et te repentir. Si une servante de Dieu reconnaît son péché et se repent, Dieu lui pardonne. »

Quand le Prophète eut terminé, mes larmes cessèrent complètement et je me tournai vers mon père en disant : « Réponds au Prophète. » Il répondit : « Par Dieu, je ne sais pas quoi dire au Messager de Dieu. » Je dis alors à ma mère : « Réponds au Prophète. » Elle dit elle aussi : « Je ne sais pas quoi dire au Messager de Dieu. » J’étais encore toute jeune, et je ne connaissais pas beaucoup le Coran. Pourtant, je répliquai : « Je sais que vous avez entendu répéter cette histoire si souvent que vous avez fini par y croire. Si je vous dis que je suis innocente, et Dieu sait que je le suis, vous ne me croirez pas. Si, au contraire, je reconnais une faute dont Dieu sait que je suis innocente, vous me croirez.

Je ne connais pas d’autre situation comparable à cela que celle du père de Joseph (j’essayai vainement de me rappeler le nom de Jacob) quand il a dit : « Je patienterai calmement et je rechercherai l’aide de Dieu contre ce que vous prétendez. » Puis je me retournai et m’allongeai sur mon lit. Je savais que j’étais innocente et que Dieu ferait apparaître mon innocence. Jamais cependant je n’aurais imaginé que Dieu révélerait un passage du Coran à mon sujet. Je pensais être trop humble pour que Dieu évoque mon cas dans Ses révélations.

Tout ce que j’espérais, c’était que le Prophète (saws) ferait quelque rêve qui m’innocenterait. Néanmoins, avant même que le Prophète (saws) ne nous quitte et que personne ne sorte de la maison, les révélations divines commencèrent. On couvrit le Prophète de son propre vêtement et on plaça un coussin sous sa tête. Quand je vis cela, je n’éprouvai ni inquiétude ni crainte. J’étais certaine de mon innocence, et je savais que Dieu, le Tout-Puissant, ne serait pas injuste envers moi. Quant à mes parents, eh bien, par Celui qui détient l’âme de Aïsha en Son pouvoir, ils faillirent mourir tant ils craignaient que la révélation divine ne confirme les propos des gens.

Puis ce fut terminé. Le Prophète se redressa, sa sueur pareille à des perles un jour de pluie. En s’essuyant le front, il dit : « Aïsha, j’ai une bonne nouvelle pour toi. Dieu a déclaré ton innocence. » Je dis alors : « Louange à Dieu. »

Ensuite, le Prophète  sortit pour s’adresser aux gens et leur réciter les versets coraniques qui lui avaient été révélés au sujet de cette affaire.

Un mensonge flagrant

Il ne fait aucun doute que l’affaire de la calomnie eut des conséquences importantes dans la vie de la communauté musulmane en général et, pendant un certain temps, dans la vie privée du Prophète (saws) lui-même. L’honneur était de la plus haute importance pour tous les Arabes bien avant l’avènement de l’Islam. L’Islam accorde une importance considérable à la chasteté, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. La fornication et l’adultère sont des crimes graves. Que pareille rumeur touche la famille du Prophète (saws) était donc extrêmement préoccupant tant pour lui-même que pour tous ceux qui croyaient à sa mission.

Il leur était incompréhensible que Dieu permette que l’honneur du Prophète (saws) et celui de son épouse bien-aimée fassent l’objet de conversations infamantes de la part des hypocrites et des autres ennemis de l’Islam. Le Prophète (saws) se conduisit cependant avec une dignité dont seul un prophète peut faire preuve. Il ne tint sa femme pour coupable de rien tant qu’il n’avait pas de preuve de sa culpabilité ni de son innocence. Il continua à se soucier d’elle et à demander de ses nouvelles quand elle était malade. Il ne lui dit pas un mot suggérant qu’il croyait à ce qu’on racontait.

Il ne parla pas non plus à Safwân, l’homme accusé d’être son amant, d’une manière qui aurait pu donner à penser qu’il le tenait pour responsable de quoi que ce fût sans preuve certaine. Quand le Prophète (saws) s’adressa aux gens pour exprimer son point de vue, il dit : « Je n’ai rien vu de mal de la part de ma femme. Ces gens accusent aussi un homme de la part de qui je n’ai rien vu de mal. Il n’est jamais entré dans les appartements de mes femmes qu’en ma présence. » Le Prophète (saws) n’avait donc nullement l’intention de juger quiconque sans preuve certaine.

N’en possédant pas, il était prêt à attendre que Dieu lui ait indiqué la marche à suivre, et à laisser les gens dire ce qu’ils voulaient dans l’intervalle. Ce genre de diffamation était quelque chose qu’il était prêt à supporter, car cela faisait partie des sacrifices qu’il devait consentir pour accomplir sa mission. Lorsqu’on se penche sur cette histoire, on s’aperçoit d’emblée qu’un incident minime avait pris des proportions considérables. Le retard de ‘Aïsha avait été causé par la perte de son collier. Il est bien naturel qu’une jeune épouse ait attaché de l’importance à ses bijoux, surtout quand son époux, – le Prophète (saws), avait d’autres épouses et qu’elle était sa préférée.

Il était aussi naturel qu’elle soit retrouvée par l’un des hommes qui avaient pour tâche de récupérer ce que l’armée avait pu laisser sur le lieu de son campement. Quand Safwân la trouva, il fît son devoir en lui donnant son chameau à monter et en le menant par la bride jusqu’à ce qu’ils aient rattrapé l’armée. Il n’aurait rien dû ni pu faire d’autre. C’était tout ce qui était arrivé, et cela n’aurait jamais dû susciter de soupçon dans l’esprit de quiconque. Après tout, Aïsha n’était pas la première femme à perdre le groupe avec lequel elle voyageait.

En outre, le fait qu’une femme chemine sur le dos d’un chameau mené par un homme n’avait rien de si extraordinaire. Quelques années auparavant, Umm Salama, que le Prophète (saws) devait plus tard épouser, avait quitté La Mecque seule avec son jeune enfant pour émigrer à Médine en réponse à l’appel du Prophète (saws) aux musulmans de La Mecque. Sur le chemin, elle avait rencontré un homme qui était polythéiste. Cet homme, ‘Uthmân ibn Talha, ne s’était pas senti le droit de laisser une femme parcourir seule une aussi longue distance (500 kilomètres) dans le désert.

Il l’avait escortée le reste du voyage. Elle relata plus tard que son comportement avait été exemplaire. Personne à l’époque n’avait émis le moindre doute sur le comportement de ‘Uthmân ni d’Umm Salama, malgré le fait qu’il n’était pas musulman – qu’il était même encore un ennemi de l’Islam. Tout le monde avait compris que l’attitude de ‘Uthmân avait été motivée par les traditions arabes voulant qu’un homme protège une femme voyageant seule dans le désert. La comparaison de ces deux incidents révèle d’importantes ressemblances. Il semble étonnant que l’un ait suscité de telles rumeurs mensongères et pas l’autre.

Après tout, le second incident, celui arrivé à Aïsha, n’aurait jamais dû susciter de soupçon ni donner lieu à la moindre rumeur. L’homme en question, Safwân, était un très bon musulman, connu pour son honnêteté et son intégrité. En outre, aucun homme, même s’il ne respectait pas ses devoirs moraux, n’aurait pu s’imaginer que l’épouse du Prophète (saws) répondrait à des avances. ‘Aïsha appartenait à une famille à la réputation sans faille, même avant l’avènement de l’Islam. La famille jouissait d’un plus grand respect encore depuis.

Mariée au Prophète (saws), jamais elle n’aurait pu songer à lui être infidèle. La vérité est que Abdullâh ibn Ubayy, le chef de file des hypocrites, était très ennuyé que ses propos, émis en présence de personnes qu’il pensait être des hypocrites comme lui, aient été rapportés au Prophète (saws) par Zayd ibn Arqam. Il était conscient qu’il allait perdre la considération de ses contribules en raison de ces remarques où il avait adopté une attitude hostile au Prophète (saws), se considérant lui-même comme celui des deux qui était « honorable » et menaçant d’expulser de Médine le Prophète (saws), décrit comme « humble ».

Aucun musulman ne pouvait tolérer pareille attitude, pas même ceux qui espéraient encore que Abdullâh ibn Ubayy oublierait ses griefs personnels et deviendrait un musulman sincère. Si les musulmans avaient à choisir, c’était de loin leur amour pour leur Prophète (saws) et leur devoir de lui obéir qui l’emportaient. Abdullâh ibn Ubayy était conscient que bien que certains musulmans appartenant aux Khazraj, sa tribu, lui soient encore attachés, il ne faisait aucun doute que leur loyauté envers lui s’effacerait totalement si elle venait à entrer en conflit avec leur loyauté envers leur nouvelle religion.

Sa situation se trouvait donc considérablement fragilisée. N’étant pas parvenu à créer des dissensions entre les muhâjirûn et les ansâr à la suite du premier incident causé par une dispute au sujet de l’eau, il voyait dans ce nouvel incident une occasion d’amener les musulmans à douter de l’honneur du Prophète (saws) et de sa position auprès de Dieu. À défaut de cela, il parviendrait au moins, pensait-il, à causer une rupture entre sa propre tribu et le reste des musulmans, s’il réussissait à utiliser la loyauté tribale de ses contribules. Tels étaient les motifs de ses manoeuvres malsaines.

Mais Dieu ne voulut pas laisser tout cela se produire : Il révéla un passage du Coran affirmant l’innocence de Aïsha et éclairant les musulmans sur le comportement à avoir en pareilles circonstances. Il est donc parfaitement clair que cette histoire d’adultère était fausse de bout en bout. Les musulmans n’auraient jamais dû être tentés d’y croire, avant même que Dieu n’affirme l’innocence de Aïsha dans une révélation coranique.

De fait, certains musulmans avaient d’emblée rejeté l’accusation comme totalement fausse. L’un d’eux était Khâlid ibn Zayd, mieux connu sous le nom d’Abû Ayyûb al-Ansârî. Sa femme lui ayant parlé des rumeurs et lui ayant demandé s’il les avait entendues, il répondit : « Oui, certes. C’est un mensonge flagrant. Toi, Umm Ayyûb, aurais-tu fait pareille chose ? » Elle répondit : « Non, par Dieu, je ne le ferais pas. » Il rétorqua : « Eh bien, par Dieu, Aïsha est meilleure que toi. » Telle est l’attitude dont le Coran fait l’éloge, comme nous le verrons ci-dessous.

Les rumeurs se propagèrent pendant un mois environ sans que ni le Prophète (saws) ni personne d’autre n’agisse pour y mettre fin. Pendant la majeure partie de cette période, Aïsha était gravement malade et ne pouvait donc être informée de ce qu’on racontait à son sujet. Le Prophète (saws) était préoccupé par cette affaire mais, n’ayant aucune preuve claire dans un sens ni dans l’autre, il ne pouvait rien faire.

Le Prophète (saws) attendit pendant un mois, au cours duquel il ressentit certainement toute l’angoisse éprouvée par un homme dont l’épouse bien-aimée est accusée d’adultère alors qu’il est dans l’incapacité de prouver son innocence. Le fait qu’il n’ait pas reçu de révélation à ce sujet pendant tout un mois répondait à plusieurs objectifs. Le Prophète (saws) avait confiance en la sagesse divine, certain que Dieu ne lui ferait que du bien. Il se comporta donc avec une dignité et une patience parfaites, jusqu’à ce que Dieu juge bon de révéler l’innocence de Aïsha.

L’attente renforçait même la défense de cette dernière. Elle prouvait également la véracité du message de Muhammad (saws). En effet, si, comme le prétendaient les négateurs, il avait été un faux prophète qui inventait le Coran, il se serait probablement empressé de fabriquer une forme de déclaration exprimant un jugement sur cette affaire. Mais Muhammad (saws) n’était pas homme à agir de la sorte. Il importe de souligner ici que la nature humaine n’aurait pu, à elle seule, saisir toute la sagesse de ce retard. Tandis que les gens salissaient l’honneur du Prophète (saws), la nature humaine aurait voulu que toutes ces rumeurs soient étouffées immédiatement.

Le Prophète (saws), lui, comprenait cependant que ce n’était pas à lui qu’il revenait de prendre cette décision. Il attendit que Dieu le guide. Ceci est en accord avec le fait que le Prophète (saws) n’avait aucun contrôle sur tout ce qui concernait la communauté musulmane en général, ni sur sa propre vie d’être humain. Quand l’innocence de Aïsha fut enfin déclarée, elle le fut avec la plus grande véhémence. Dieu révéla un passage du Coran affirmant son innocence sans aucune ambiguïté.

Ce passage se trouve dans la sourate 24, intitulée an-Nûr ou « La Lumière » (versets 11-20). La sourate commence par une interdiction parfaitement claire de tout acte d’adultère ou de fornication, suivie de l’interdiction également claire d’accuser une femme d’adultère sans apporter quatre témoins pour prouver cette accusation. Ces règles ayant déjà été édictées, les musulmans auraient dû demander les mêmes preuves lorsque Aïsha avait été accusée. Le passage traitant de l’innocence de Aïsha commence par une affirmation très claire, décrivant les rumeurs comme totalement fausses et toute l’histoire comme une calomnie.

Il en ressort que toute cette affaire était l’oeuvre d’un groupe qui cherchait à nuire gravement aux musulmans, mais que Dieu avait voulu qu’elle leur soit finalement profitable. Les calomniateurs seraient dûment punis, en particulier leur chef de file qui subirait « un terrible châtiment ». Une religion comme l’Islam, caractérisée par le sérieux avec lequel elle envisage les questions morales, ne pouvait permettre que l’honneur de femmes innocentes fasse l’objet de propos futiles.

Accuser une femme d’adultère sans fournir une preuve irréfutable de sa culpabilité est en soi un crime grave appelant un châtiment sévère. Le Coran précise que ceux qui auront diffusé de telles rumeurs sans fournir quatre témoins pour attester qu’ils ont vu de leurs yeux commettre l’adultère seront punis de quatre-vingts coups de fouets et ne seront plus acceptés comme témoins devant un tribunal, à moins qu’ils ne se repentent et ne montrent à l’avenir un comportement exemplaire. L’accusation d’adultère fait l’objet de dispositions si strictes en Islam parce qu’il n’est que trop facile de répandre la calomnie.

Si la foi ne les retient pas, les gens ont tendance à s’intéresser aux ragots. La mise en garde du Coran est donc claire, ferme et irrévocable. Le jugement divin une fois prononcé, le Prophète (saws) fit appliquer à trois personnes la peine frappant ceux qui profèrent une fausse accusation d’adultère contre une femme musulmane : Mistah ibn Athâtha, Hasân ibn Thâbit et Hamna bint Jahsh. Ces trois personnes avaient répété les accusations explicitement.

D’autres qui n’avaient pas parlé aussi ouvertement furent pardonnés. Abdullâh ibn Ubayy parvint à échapper à la punition, étant trop malin pour se faire prendre. Néanmoins, son rôle était connu de tous et il perdit tout le respect de ses concitoyens. On peut noter ici que la participation de Hamna à ces rumeurs était motivée par la jalousie. Sa soeur, Zaynab bint Jahsh, était mariée au Prophète (saws). Zaynab et Aïsha étaient rivales pour l’amour du Prophète (saws), l’emportant sur ses autres épouses. Lorsque le Prophète (saws) demanda à Zaynab si elle avait vu ou entendu quelque chose de suspect dans le comportement de Aïsha, elle répondit : « Messager de Dieu, je préfère protéger mes yeux et mes oreilles. Je n’ai vu que du bien chez Aïsha. »

Sa soeur alla cependant trop loin dans ses efforts pour assurer à Zaynab les faveurs du Prophète (saws) et c’est la raison de sa faute. Mistah, un parent d’Abû Bakr, le père de Aïsha, dépendait de la charité de ce dernier pour subvenir à ses besoins. Cela ne l’empêcha cependant pas de répéter les rumeurs. L’homme était pourtant de bon caractère et avait combattu à Badr. Abu Bakr, irrité du comportement de Mistah, décida de ne plus subvenir à ses besoins. Cependant, dans les versets suivants de la même sourate, Dieu recommande aux croyants de ne pas se laisser emporter par leurs sentiments personnels.

Il est meilleur qu’ils continuent à subvenir aux besoins de leurs frères, même si le comportement de ceux-ci laisse parfois à désirer. Dieu demande aux croyants :

Et que les détenteurs de richesse et d’aisance parmi vous, ne jurent pas de ne plus faire des dons aux proches, aux pauvres, et à ceux qui émigrent dans le sentier d’Allah. Qu’ils pardonnent et absolvent.  N’aimez-vous pas qu’Allah vous pardonne ? et Allah est Pardonneur et Miséricordieux.»

(Coran : sourate 24, verset 22)

Quand il entendit ce verset, Abu Bakr dit : « J’aimerais en effet que Dieu m’absolve » et il continua à subvenir aux besoins de Mistah.

Le fait que ces compagnons du Prophète (saws) aient pris part aux rumeurs prouve qu’il peut arriver à tous de commettre des erreurs. En pareil cas, ils doivent se repentir et implorer le pardon de Dieu. Si leurs fautes sont passibles d’une peine particulière et qu’ils subissent cette peine, la peine efface les fautes. S’ils ne sont pas punis, la décision revient à Dieu qui pourra, dans l’au-delà, leur pardonner leurs fautes ou non.

La bataille des coalisés

Certains indices donnaient à comprendre qu’un nouvel affrontement majeur entre les musulmans et leurs ennemis ne manquerait pas de se produire prochainement. Ainsi, les Quraysh avaient besoin de justifier leur absence au rendez-vous fixé avec les musulmans en organisant une nouvelle attaque contre eux. Cependant, la tribu d’an-Nadîr fut la première à comprendre que les ennemis de l’Islam n’auraient une chance de l’éradiquer que s’ils réunissaient leurs forces pour lancer une attaque conjointe susceptible d’anéantir les musulmans.

Un groupe de chefs de la tribu d’an-Nadîr, où figuraient Sallâm ibn Mishkam ibn Abî al-Huqayq, son cousin Kinâna ibn ar-Rabî’ ibn Abî al-Huqayq et Huyay ibn Akhtab, ainsi que Hawtha ibn Qays et Abu Ammâr de la tribu juive de Wâ’il, quittèrent Khaybar où les an-Nadir s’étaient installés pour tenter de forger une alliance avec les Quraysh et d’autres ennemis de l’Islam.

Ces hommes se rendirent d’abord chez les Quraysh pour leur proposer une alliance dans le seul but d’anéantir les musulmans. Ils leur dirent : « Nous nous battrons à vos côtés jusqu’à ce que nous ayons exterminé Muhammad et ses hommes. » Les Quraysh ne se firent pas prier pour accepter une telle alliance : ils n’avaient rien à y perdre. En outre, elle leur permettrait d’accroître leur puissance de frappe lors des combats.

Il se produisit alors un incident singulier qu’on peut difficilement justifier. Certains chefs de Quraysh avaient quelques hésitations. Peut-être se rendaient-ils compte que lors de leurs précédents affrontements avec le Prophète , ils avaient toujours été les agresseurs. Muhammad et les musulmans s’étaient toujours battus pour défendre leur vie et leur nouvelle religion. Ils ne voulaient pas imposer leur religion par la force, mais seulement être libres de transmettre le message divin aux gens afin qu’ils puissent choisir de l’accepter ou de le rejeter. Peut-être certains des Quraysh doutaient-ils quelque peu de leur religion idolâtre en la comparant à l’islam fondé sur la foi en l’unicité divine.

Les chefs de Quraysh demandèrent donc aux chefs israélites, dont certains étaient rabbins : « Vous, les juifs, êtes détenteurs des anciennes Écritures. Vous connaissez notre différend avec Muhammad. Maintenant, nous voulons vous demander ceci : laquelle des deux religions est la meilleure, la nôtre ou la sienne ? » Sans hésiter, les chefs juifs répondirent aux idolâtres : « Votre religion est assurément meilleure que la sienne et vous êtes plus proches que lui de la vérité. »

Comment peut-on expliquer un tel témoignage ? De toute évidence, le ressentiment, l’amertume et l’hostilité que les Fils d’Israël éprouvaient envers le Prophète (saws) et l’Islam les avaient aveuglés au point de les pousser à témoigner que les croyances païennes et l’adoration des statues valaient mieux que la foi en Dieu, le Seigneur de l’Univers, le Créateur de toute chose. Ces Israélites agissaient ainsi en totale contradiction avec les fondements mêmes de leur religion monothéiste, partageant avec l’Islam la foi en l’unicité divine. Le Coran réprouve fermement leur attitude aux versets 51 et 52 de la sourate 4, intitulée « Les Femmes » :

N’as-tu pas vu ceux-là, à qui une partie du Livre a été donnée, avoir foi à la magie (gibt) et au Tâghhoût, et dire en faveur de ceux qui ne croient pas :  « Ceux-là sont mieux guidés (sur le chemin) que ceux qui ont cru?» Voilà ceux qu’Allah a maudits; et quiconque Allah maudit, jamais tu ne trouveras pour lui de secoureur.

Les Quraysh, quant à eux, étaient ravis de recevoir de telles assurances de la part des chefs juifs et l’alliance fut ainsi conclue sur des bases solides. Les délégués juifs cherchèrent ensuite à étendre leur alliance afin de s’assurer que, dans la bataille à venir, l’équilibre des forces soit totalement défavorable aux musulmans. Ils allèrent trouver la tribu de Ghatafân, une tribu arabe importante composée de plusieurs clans. Ils s’efforcèrent de persuader les Gharafân de se joindre à l’alliance et finirent par y parvenir après leur avoir promis de leur remettre leur récolte de dattes d’une année entière quand ils auraient remporté la victoire sur Muhammad (saws).

Ils parvinrent également à s’assurer le soutien d’autres tribus arabes comme celles de Sulaym, Asad, Ashja’ et Fazâra. Quand toutes ces tribus eurent mobilisé leurs forces, elles constituaient une armée de dix mille hommes qui marcha sur Médine sous le commandement d’Abû Sufyân au mois de shawwâl de la cinquième année après l’arrivée du Prophète (saws) à Médine (février 627 apr. J.-C).

Plan de défense

Quand le Prophète (saws) eut vent de la nouvelle menace à laquelle les musulmans allaient être confrontés, il consulta ses compagnons quant à la meilleure manière d’assurer la défense de Médine contre les assaillants. Conscient que ses compagnons ne pouvaient pas se mesurer à l’immense armée de leurs ennemis, le Prophète (saws) ne vit pas d’autre possibilité que d’adopter une attitude défensive. La plupart des récits avancent que ce fut Salmân, le compagnon perse du Prophète (saws), qui proposa de creuser un fossé autour de Médine afin d’empêcher les assaillants d’engager des combats ouverts contre les musulmans.

L’idée était novatrice dans l’histoire des luttes entre tribus arabes. Les Arabes avaient l’habitude de se battre uniquement à découvert. Jamais au cours de leurs précédents combats ils n’avaient eu à construire une tête de pont pour franchir une rivière ou une autre barrière naturelle. Cette fois-ci, au contraire, ils allaient être confrontés à un tel obstacle. La géographie de Médine était parfaitement adaptée à l’exécution de cette idée. Seules les parties nord de la ville étaient vulnérables à une attaque extérieure. Les autres parties bénéficiaient de fortifications naturelles.

À l’Est, une ancienne plaine volcanique appelée Wâqim s’étendait sur une distance considérable, et une plaine volcanique semblable, appelée Wabara, s’étendait vers l’Ouest. Au Sud, des palmeraies densément plantées, s’étendant sur une grande distance, constituaient une barrière naturelle. Au-delà de ces palmeraies, la tribu juive de Qurayza, liée aux musulmans par un traité de paix, vivait dans des demeures fortifiées. Pour compléter les fortifications et les défenses de Médine, il suffisait donc de creuser un fossé assez large et assez profond pour être infranchissable.

Le Prophète (saws) et ses compagnons apprécièrent beaucoup l’idée de creuser un fossé et il demanda à ses compagnons de se mettre à l’ouvrage sans tarder. Le Prophète (saws) divisa ses trois mille compagnons, qui constituaient la force armée de Médine, en groupes de dix et donna à chaque groupe une quarantaine de mètres à creuser. Tout en travaillant dur, les compagnons du Prophète (saws) déclamaient des vers exprimant leur détermination à défendre leur foi. Quand les forces alliées ennemies arrivèrent, le plan de défense des musulmans était entièrement opérationnel.

Le fossé constituait une barrière imprenable entre les deux camps. Le Prophète (saws) participait aux travaux au même titre que n’importe quel autre individu de la communauté musulmane. Il travaillait avec une pioche et une pelle et transportait la terre comme chacun de ses compagnons. À un certain moment, il était si fatigué qu’il s’assit pour se reposer en s’appuyant contre un rocher et s’endormit. Ses deux compagnons Abu Bakr et ‘Umar, qui étaient à proximité, firent signe aux autres de s’éloigner afin de ne pas déranger le sommeil du Prophète (saws).

Quand celui-ci s’éveilla brusquement, il leur dit cependant : « Pourquoi m’avez-vous laissé dormir ? Vous auriez dû me réveiller. » Le comportement du Prophète (saws) motiva les musulmans qui travaillèrent de toutes leurs forces afin d’achever le fossé en un temps record de six jours. Certains récits parlent de dix-sept jours, d’autres vont jusqu’à vingt-quatre jours. Le chiffre inférieur nous semble toutefois être le plus probable étant donné l’urgence de la situation, les troupes ennemies étant déjà en marche lorsque les travaux avaient commencé.

Comme nous l’avons dit précédemment, il existait à Médine un groupe d’hypocrites. Ces gens étaient mécontents de devoir accomplir une tâche aussi ingrate que de creuser un fossé. Ils tentaient toujours de trouver une excuse pour s’absenter de leur poste. Beaucoup venaient pendant quelques instants puis s’éclipsaient. Quand les autres musulmans remarquèrent leur conduite, ils décidèrent de ne jamais quitter leur poste sans avoir d’abord obtenu l’autorisation du Prophète (saws). Chaque fois qu’un croyant avait besoin de s’absenter, même pour une raison urgente, il allait d’abord trouver le Prophète (saws) pour lui en demander la permission.

La moindre absence était donc signalée à l’avance. Cette discipline était volontaire et non pas imposée. C’est pourquoi Dieu félicite les musulmans pour leur comportement et réprouve la conduite des hypocrites aux trois derniers versets de la sourate 24, intitulée an-Nûr (La Lumière).

Des signes indicateurs

Plusieurs incidents qui eurent lieu durant la période où le fossé était creusé confirment l’authenticité de la mission prophétique de Muhammad (saws). Comme nous l’avons dit, le Prophète (saws) participait aux travaux au même titre que n’importe quel individu de la communauté. En creusant, les musulmans déclamaient des vers en choeur et le Prophète (saws) se joignait à eux. Les musulmans étaient très pauvres.

A cette époque, la plupart d’entre eux souffraient de la faim. La dureté de la tâche rendait la faim encore plus pénible. Beaucoup recouraient à des pierres qu’ils s’attachaient sur l’estomac pour oublier leur faim. Le Prophète (saws) avait deux pierres sur l’estomac. Tandis qu’il travaillait, l’un de ses compagnons remarqua qu’il devait avoir extrêmement faim. Cet homme, Jâbir ibn Abdullâh, très attristé par ce spectacle, demanda à s’absenter temporairement. Il rentra chez lui et dit à sa femme :

« J’ai vu le Prophète dans un état que je ne peux tolérer. As-tu quelque chose à manger ? » Elle répondit qu’elle avait une petite quantité d’orge et une petite chèvre. Il tua immédiatement la chèvre et la dépeça pour la faire cuire. Sa femme moulut l’orge et commença à faire cuire la chèvre dans une grande marmite. Quand le repas fut presque prêt, Jâbir retourna auprès du Prophète (saws) et lui dit : « Messager de Dieu, j’ai à manger chez moi. Veux-tu être mon hôte avec un ou deux de tes compagnons ? » Le Prophète lui demanda alors combien de nourriture il avait, et en entendant la réponse de Jâbir, il dit : « C’est beaucoup. Dis à ta femme de ne pas descendre sa marmite du feu ni sortir son pain du four avant que je n’arrive. »

Puis il appela ses compagnons et les invita au repas de Jâbir. Tous les hommes qui creusaient le fossé, muhâjirûn et ansâr, l’accompagnèrent. Dans le récit qu’il fit de cette histoire, Jâbir dit qu’il fut très embarrassé de voir tout ce monde arriver, car sa petite chèvre et sa petite quantité de pain étaient loin de suffire. Précédant les autres, il alla dire à sa femme : « Le Prophète (saws) arrive en amenant avec lui tous les muhâjirûn et les ansâr ! » Elle demanda: « A-t-il demandé combien de nourriture nous avions ? » Comme il répondait par l’affirmative, elle lui dit : « Dieu et Son messager sont mieux informés. » Sa réponse suffit à dissiper l’embarras de Jâbir.

En arrivant chez Jâbir, le Prophète (saws) dit à ses compagnons : « Entrez, mais ne vous bousculez pas. » Le Prophète (saws) lui-même commença à couper le pain, le disposant sur des plats et y posant la viande. Pendant ce temps, il laissa la marmite sur le feu et la couvrit ainsi que le four, à chaque fois qu’il en prélevait de la nourriture. Il servit ainsi plat après plat à ses compagnons, jusqu’à ce que chacun ait mangé à sa faim. La marmite et le four étaient encore pleins de viande et de pain quand tout le monde eut fini de manger. Le Prophète (saws) dit alors à la femme de Jâbir : « Mangez en et envoyez-en à d’autres personnes, car ce que nous avons vécu était presque une famine. » Elle obéit et envoya de grandes quantités de pain et de nourriture pendant le reste de la journée.

D’autres récits rapportent cette histoire. Certains avancent que huit cents personnes participèrent au repas de Jâbir. Si tous les hommes qui travaillaient à creuser le fossé avaient suivi le Prophète chez Jâbir, le nombre était peut-être encore plus élevé. Cela n’est pas étonnant, non pas parce qu’une petite chèvre, ou même une grande, suffisait à nourrir autant de monde, mais parce que Dieu avait béni ce repas et accordé un tel privilège au Prophète (saws) à ce moment précis.

Un autre incident semblable eut lieu pendant que le fossé était creusé, confirmant que les musulmans connaissaient une pénurie de nourriture à l’époque où les Quraysh avaient décidé de les attaquer conjointement avec les autres tribus arabes et la tribu juive d’an-Nadîr. Une jeune fille de Bashîr ibn Sa’d a relaté que sa mère, Amra bint Rawâha, lui avait donné une petite quantité de dattes en lui disant d’aller les porter à son père et à son oncle, Abdullâh ibn Rawâha, pour leur repas de midi. En chemin, elle passa près du Prophète (saws) qui lui demanda ce qu’elle portait.

Elle répondit : « Des dattes que ma mère envoie à mon père, Bashîr ibn Sa’d, et à mon oncle Abdullâh ibn Rawâha pour leur repas. » Le Prophète  lui dit : « Donne-les moi. » Elle les plaça dans les mains du Prophète et remarqua que ses mains n’étaient pas pleines. Le Prophète demanda à ce qu’on étale un linge et il y disposa les dattes. Il demanda à quelqu’un d’inviter tout le monde à venir manger : les dattes ne cessèrent d’augmenter jusqu’à ce que tout le monde ait mangé, et même alors il en restait encore sur le linge.

Un autre incident eut lieu durant cette période : un groupe de compagnons du Prophète (saws) se plaignait d’avoir rencontré, dans la partie qu’ils avaient à creuser, un gros rocher qui était trop dur pour leurs pelles et leurs pioches. Ils ne pouvaient en venir à bout. Le Prophète (saws) dit : « J’arrive. » Il prit une pioche et en frappa le rocher, qui fut réduit en un tas de poussière très facile à déblayer. Quand le Prophète  (saws) et ses compagnons eurent fini de creuser le fossé, ils se mirent beaucoup plus en sécurité. Le fossé était trop large et trop profond pour être franchi à cheval. Avec les cailloux et le sable issus du creusement du fossé, on avait formé un parapet qui constituait une barrière supplémentaire entre les musulmans et leurs ennemis.

Les femmes et les enfants étaient à l’abri dans des bâtiments fortifiés. Le Prophète (saws) et ses soldats campaient au pied du mont Sil’, le dos à la montagne.

Les Quraysh et la coalition de tribus arabes ayant rejoint l’armée des négateurs qui marchait vers Médine avaient un motif bien défini et un objectif précis. Ils voulaient en finir avec Muhammad (saws) et ses compagnons et éradiquer complètement l’Islam. Huyay ibn Akhab et les autres chefs de la tribu juive d’an-Nadîr qui étaient à l’origine de cette alliance et s’étaient donné beaucoup de mal pour la réaliser et obtenir la mobilisation de la grande armée des tribus coalisées, avaient dit clairement aux chefs des tribus de Quraysh et de Ghatafàn que cette fois il ne fallait pas perdre de vue le but ultime, à savoir l’extermination du Prophète (saws) et de ses compagnons.

Les engagements pris par les coalisés indiquent clairement que tous partageaient le même objectif. Lorsque cette grande armée avançait vers Médine, ses chefs envisageaient de déferler sur la ville en ne laissant aux musulmans aucune chance de leur opposer la moindre résistance qui aurait pu permettre à l’Islam de survivre, même diminué. Dans le camp adverse, la situation était très différente. En adoptant leur stratégie défensive, ils savaient que la persévérance et l’endurance seraient de première importance pour remporter la victoire. Ils savaient qu’il leur faudrait épuiser la patience de l’ennemi afin de le pousser à commettre des erreurs fatales. Autrement dit, c’était essentiellement une guerre des nerfs qui se préparait.

Les coalisés surpris

Quand les Quraysh et leurs alliés arrivèrent et virent ce que les musulmans avaient fait pour défendre leur ville, ils furent stupéfiés et déconcertés. Ce plan était totalement nouveau pour eux. Ils ne savaient pas comment construire une tête de pont pour franchir le fossé, et même s’ils l’avaient su, cela leur aurait coûté beaucoup de vies humaines. Ils établirent donc leur camp près du fossé, restant dans l’expectative. Des troupes à cheval allaient et venaient nuit et jour devant le fossé, cherchant un point faible par où il pourrait être franchi, guettant une occasion de prendre les musulmans par surprise.

Les musulmans, quant à eux, étaient pleinement conscients que toute défaillance de leur système de défense leur serait fatale. Ils campaient donc tout près du fossé, et dès qu’une troupe, petite ou grande, approchait, elle était contrainte à reculer par une pluie de flèches en provenance du camp musulman. Les musulmans gardaient leurs lignes de défense nuit et jour. Ils étaient aux aguets, attentifs et déterminés. Muhammad ibn Maslama, un compagnon du Prophète (saws), a relaté :

« Nos nuits s’étaient transformées en jours. Les chefs des idolâtres faisaient à tour de rôle des démonstrations de force de l’autre côté du fossé. Nous vîmes Abu Sufyân diriger certaines de ses troupes de l’autre côté du fossé, puis d’autres chefs de troupes prirent sa suite les jours suivants – Khalid ibn al-Walîd, Amr ibn al-As, Hubayra ibn Ubayy, ‘Ikrima ibn Abî Jahl et Dirâr ibn al-Khattâb. »

Tout en montrant que les négateurs disposaient de troupes importantes, ces démonstrations de force révélaient aussi que les coalisés n’avaient pas de chef suprême reconnu de tous. C’était là sans doute le principal point faible des ennemis. Les défenseurs de Médine, eux, ne montraient aucun signe de faiblesse. L’inquiétude quant à l’issue de ce face-à-face prolongé était donc compréhensible.

Plusieurs jours s’étant écoulés sans que la situation ne change, un groupe des héros les plus célèbres de Quraysh tentèrent de franchir le fossé. Quelques-uns parvinrent à faire sauter leurs chevaux par-dessus à l’endroit le plus étroit. Un groupe de combattants musulmans, mené par Alî ibn Abî Tâlib, se précipita pour colmater la brèche et repousser les assaillants. Ceux qui avaient traversé le fossé durent reculer ou furent tués.

L’un d’eux, Amr ibn Abd Wadd, était célèbre pour son courage et ses prouesses guerrières. Alî lui dit : « Amr, tu as dit que si un homme de Quraysh t’invitait à accepter l’une de deux alternatives, tu le ferais certainement. » Amr le confirma. Alî lui dit alors : « Alors je t’invite à croire en Dieu et Son messager et à embrasser l’islam. » Amr répondit: « Je n’ai pas de temps pour cela. »

Alî poursuivit : « Alors je te défie en combat singulier. » Amr rétorqua d’un ton condescendant : « Et pourquoi fais-tu cela, mon neveu ? Par Dieu, je ne veux pas te tuer. » Alî répliqua : « Mais moi, je veux te tuer. » Furieux, ‘Amr mit pied à terre et fit face à Alî. Les deux hommes s’engagèrent dans un violent combat à l’issue duquel Alî, le plus jeune, tua le héros des idolâtres, dont toute la bravoure n’égalait pas le courage et l’assurance de Alî, le fidèle compagnon du Prophète (saws).

Tout poussait à croire que le siège serait prolongé. Toute personne avisée pouvait se rendre compte que si les lignes musulmanes n’étaient pas franchies à un endroit ou un autre, les défenseurs pourraient survivre ainsi longtemps. Ils étaient dans leur ville et leurs fermes étaient derrière eux. Leur approvisionnement en nourriture ne pouvait pas être bloqué. Leur position n’était certes pas confortable, mais elle n’était nullement désespérée. La position de leurs ennemis était pire. Ils n’avaient quasiment aucune source d’approvisionnement, et devaient donc compter uniquement sur ce qu’ils avaient apporté avec eux.

Ces provisions seraient bientôt épuisées. Ils ne pourraient pas poursuivre leur siège très longtemps. Huyay Ibn Akhtab, le rabbin de la tribu d’an-Nadîr, fut le premier à comprendre qu’une action audacieuse devait être entreprise pour éviter l’enlisement. De tous les principaux ennemis des musulmans, Huyay ibn Akhtab était sans doute le plus déterminé à mener leur entreprise jusqu’à une issue favorable. Cette coalition des forces hostiles à l’Islam était son idée. Il savait qu’un échec serait cette fois irrémédiable. Il fallait rompre le statu quo, et, pour cela, il ne pouvait compter que sur lui-même.

Tentation et trahison dans le camp musulman

Au-delà des palmeraies situées à l’arrière de Médine vivaient les Qurayza, la plus importante des tribus juives qui s’étaient installées à Médine longtemps auparavant pour attendre l’avènement du dernier des prophètes (saws). Comme les autres tribus arabes et juives de Médine, les Qurayza étaient liés par un traité de paix conclu avec le Prophète (saws) peu après son arrivée à Médine. Jusqu’alors, les Qurayza avaient respecté les termes de l’accord.

Les deux autres tribus juives, celles de Qaynuqâ’ et an-Nadir, avaient été expulsées de Médine après avoir violé le traité. Les gens de Qurayza craignaient donc les musulmans plus que tout, et ceux-ci, ne se sentant pas menacés par eux, n’avaient pris aucune précaution particulière à leur encontre. Huyay ibn Akhtab comprenait maintenant que le seul moyen de parvenir à son but d’éradiquer l’Islam et d’anéantir Muhammad (saws) et ses compagnons serait de persuader les Qurayza de se joindre aux idolâtres arabes et à leurs alliés juifs pour lancer une attaque en tenaille contre la défense musulmane.

Il s’introduisit donc jusqu’à la maison fortifiée de Ka’b ibn Asad, le chef des Qurayza. Par ces temps agités que connaissait Médine, les juifs prenaient toutes les précautions et gardaient fermées leurs demeures fortifiées. Quand Huyay ibn Akhtab frappa à la porte de Ka’b ibn Asad, ce dernier refusa de lui ouvrir. Huyay l’appela et lui demanda d’ouvrir, mais il refusa en disant : « Huyay, tu es un homme de mauvais augure. J’ai un traité avec Muhammad et je compte le respecter. Je n’ai vu de sa part que l’honnêteté et le respect de ses obligations. »

Huyay ne comptait pas se laisser éconduire, et il insista de plus en plus pour que Ka’b lui ouvre sa porte. Celui-ci persistait toutefois dans son refus. En fin de compte, Huyay insulta délibérément Ka’b pour le pousser à le laisser entrer. Il lui dit : « Si tu as verrouillé ta porte, c’est seulement parce que tu ne veux pas partager ton dîner. » La ruse réussit et Ka’b fut contraint de laisser entrer l’ami dont il ne voulait pas.

Une fois assis, Huyay ibn Akhrab dit : « Ka’b, ne vois-tu pas que je suis venu t’apporter la gloire éternelle ? Je t’apporte un océan de bien. » Ka’b demanda : « De quoi s’agit-il ? » Huyay répondit : « Je t’ai amené les Quraysh, avec tous leurs chefs et leurs notables, jusqu’à leur campement de Mujtama’ al-Asyâl, le point de convergence des rivières. J’ai aussi amené les Ghatafàn, avec tous leurs chefs et leurs notables, jusqu’à leur campement proche du mont Uhud. Les uns et les autres se sont engagés solennellement à ne pas repartir avant d’avoir anéanti Muhammad et ses partisans. »

Ka’b répondit : « Ce que tu m’as apporté, c’est une honte éternelle. Tu ne m’apportes qu’un nuage qui a déjà produit sa pluie : il peut donner des éclairs et du tonnerre, mais il n’a rien de bon à offrir. Laisse-moi tranquille, Huyay, car je n’ai vu de Muhammad que l’honnêteté et le respect fidèle de notre traité. »

Un homme de Qurayza du nom de Amr ibn Sa’d intervint à son tour. Il rappela à ses contribules le traité qui les liait au Prophète (saws) et leur obligation de soutenir Muhammad (saws) contre ses ennemis. Puis il ajouta : « Si vous ne voulez pas vous battre aux côtés de Muhammad, laissez-le donc affronter ses ennemis sans intervenir. » Huyay ibn Akhtab ne se laissa pas décourager par cette réponse négative. Il possédait un grand pouvoir de persuasion. Il ne cessa de faire pression sur Ka’b et de s’efforcer de le convaincre, jusqu’à ce qu’il cède à la tentation de se joindre à la coalition hostile au Prophète (saws).

En retour, Huyay lui jura par Dieu que si les Quraysh et les Ghatafàn venaient à partir avant d’avoir pu infliger une défaite à Muhammad (saws), lui-même et les hommes qu’il commandait rejoindraient Ka’b ibn Asad et les Qurayza dans leurs forts et partageraient leur sort, quel qu’il soit. Cela fait, les Qurayza suivirent leur chef Ka’b ibn Asad dans sa révocation unilatérale du traité qui les liait aux musulmans.

Le Prophète (saws) ne tarda pas à apprendre la trahison des Qurayza. Il était conscient que si l’armée musulmane apprenait la nouvelle, son moral ne manquerait pas d’en être affecté. Il voulait donc être absolument certain de l’évolution de la situation. Il envoya quatre de ses compagnons, Sa’d ibn Mu’âdh le chef de la tribu des Aws, Sa’d ibn ‘Ubâda le chef de celle des Khazraj, Abdullâh ibn Rawâha et Khawât ibn Jubayr, s’assurer de l’attitude des Qurayza. Il leur donna les instructions suivantes : « Si vous vous apercevez que les choses sont bien telles qu’on nous les a relatées, faites-le moi comprendre par une allusion. Essayez de ne pas affecter le moral des musulmans. Si, au contraire, vous vous apercevez que les Qurayza demeurent fidèles au traité qui les lie à nous, annoncez la nouvelle à tout le monde. »

La délégation alla donc rencontrer les Qurayza et les appela à poursuivre leurs relations pacifiques et à confirmer leur alliance avec le Prophète (saws). Au lieu de cela, les Qurayza répondirent par une attitude de défi. Ils dirent : «Vous voulez que nous confirmions l’alliance maintenant que nous avons été affaiblis par l’expulsion des an-Nadîr. Qui est ce Messager de Dieu ? Nous ne le connaissons pas. »

Sa’d ibn ‘Ubâda les injuria et ils répondirent sur le même ton. Sa’d ibn Mu’âdh lui dit cependant : « Ce n’est pas pour cela que nous sommes venus. L’affaire est bien plus sérieuse qu’un échange d’insultes avec eux. » Puis il leur dit : « Qurayza, vous savez quelles étaient nos relations dans le passé. Je crains pour vous un sort semblable à celui qu’ont connu les an-Nadîr, ou pire encore. » Ils se mirent alors à l’injurier dans les termes les plus vulgaires et les plus obscènes. Il répondit : « Vous auriez été bien avisés d’employer un autre ton. »

La délégation musulmane quitta les Qurayza et retourna apporter au Prophète (saws) la mauvaise nouvelle qu’ils ne reconnaissaient plus le traité de paix qui les liait à lui. En arrivant, Sa’d ibn Mu’âdh et Sa’d ibn ‘Ubâda trouvèrent le Prophète (saws) avec un groupe de ses compagnons. Se conformant à sa recommandation de l’informer de la trahison des Qurayza par un sous-entendu plutôt que de l’annoncer publiquement, ils mentionnèrent le nom des deux tribus arabes de ‘Adal et al-Qâra, faisant ainsi allusion à la trahison commise par ces tribus à ar-Rajî’. Le Prophète ne fut nullement troublé. Il dit au contraire : « Dieu est Grand. Réjouissez-vous, musulmans, car l’issue sera heureuse. »

Les musulmans ne tardèrent pas à comprendre que les Qurayza étaient revenus sur leurs engagements et s’étaient joints à la campagne d’éradication de l’Islam. Tous étaient très inquiets quant à l’issue du conflit. Leur principale source d’inquiétude était la facilité avec laquelle les Qurayza pouvaient accéder à Médine. Il leur serait possible d’y faire pénétrer des troupes de Quraysh et de leurs alliés et d’attaquer à leurs côtés la population civile de la cité. Naturellement, tous les hommes musulmans valides et forts se trouvaient avec l’armée et il ne restait dans Médine que les femmes, les enfants et les vieillards.

On ne pouvait plus les laisser seuls sans protection. Mais, si les musulmans devaient diviser leurs forces pour lutter sur les deux fronts, leurs lignes seraient trop réduites pour pouvoir résister à une attaque résolue d’un côté ou de l’autre, et à plus forte raison à une attaque concertée visant de manière prolongée les deux côtés à la fois. L’inquiétude et la crainte étaient donc grandes.

Le Prophète (saws) s’efforça de réconforter les musulmans en leur disant de cesser de s’inquiéter et de placer leur confiance en Dieu. Il leur dit : « Par Celui qui détient mon âme en Son pouvoir, Dieu vous fournira un moyen de sortir de cette situation difficile. J’espère pouvoir accomplir le circuit de la Ka’ba en parfaite sécurité, et que Dieu me permettra de tenir à la main les clés de la Ka’ba. Dieu détruira assurément les empereurs de Perse et de Byzance, et leurs trésors seront dépensés pour la cause de Dieu. »

Pendant cette période critique, les hypocrites révélèrent leurs véritables sentiments et la faiblesse de leur foi en Dieu et Son Prophète (saws). Ils cherchaient surtout à avoir la vie sauve. Certains allèrent trouver le Prophète (saws) pour demander la permission de retourner chez eux, leurs maisons étant exposées à une attaque. Certains firent remarquer que le Prophète (saws) leur promettait les trésors des grands empires de Perse et de Byzance «alors que nous ne sommes pas en sécurité même pour aller faire nos besoins ». D’autres disaient que les promesses du Prophète (saws) étaient fausses et essayaient de persuader certains musulmans de rentrer chez eux.

Dieu décrit clairement leur attitude dans le récit fait dans le Coran de cette confrontation entre les musulmans et leurs ennemis. Ce récit se trouve dans la sourate 33, intitulée al-Ahzâb (Les Coalisés). Seuls les véritables croyants, le noyau dur de la communauté, restèrent fermes et acceptèrent les promesses de victoire du Prophète (saws).

La pression s’intensifie

Pendant ce temps, Huyay ibn Akhtab était retourné apporter au commandement des Quraysh la nouvelle que les Qurayza allaient se joindre à la coalition. Cela les encouragea tellement qu’ils se mirent à allumer de grands feux tous les soirs pour intimider les musulmans et les affaiblir moralement. Les Qurayza demandèrent dix jours pour se préparer avant de pouvoir se battre. L’une de leurs conditions était que pendant cette période, les Quraysh et leurs alliés augmentent la pression à l’encontre des musulmans afin qu’ils n’essaient pas d’en finir d’abord avec les Qurayza.

Les accrochages s’intensifièrent donc, et des attaques répétées par dessus le fossé ne firent que mettre en évidence que les musulmans étaient le camp le plus faible. Le Prophète (saws) chercha le moyen de diviser les rangs de l’ennemi. Il envisagea de persuader les Ghatafàn de se retirer de la coalition. Il envoya un messager à ‘Uyayna ibn Hisn de Fazâra et al-Hârirh ibn Awf de Murra, les deux principaux chefs des Ghatafàn, leur proposant le tiers des récoltes de Médine s’ils retiraient leurs troupes. Ils acceptèrent la proposition et le texte de l’accord fut écrit.

Avant de procéder à la signature du pacte devant témoin, le Prophète (saws) appela les deux chefs des ansâr, Sa’d ibn Mu’âdh et Sa’d ibn ‘Ubâda : il voulait les consulter au sujet du pacte étant donné que les ansâr seraient les plus lésés par son application. Quand il leur eut dit ce qu’il avait proposé aux Ghatafàn, Sa’d ibn Mu’âdh lui demanda : « Est-ce quelque chose que tu souhaites que nous fassions ? Dans ce cas, nous l’accepterons pour toi. Ou est-ce quelque chose que tu as ordonné et que nous devons accepter ? Ou bien est-ce quelque chose que tu fais pour nous ? »

Le Prophète (saws) répondit que s’il agissait ainsi, c’était pour eux, en raison de la situation extrêmement difficile où ils se trouvaient maintenant que tous les Arabes et leurs alliés s’étaient unis contre eux. Il ajouta qu’il ne cherchait qu’à diviser l’unité de leurs ennemis. Sa’d ibn Mu’âdh dit alors :

Messager de Dieu, quand nous étions idolâtres comme ces gens et que nous ne connaissions pour toute religion que le culte des idoles, ils n’espéraient pas obtenir un seul fruit de Médine à moins que nous ne leur en fassions cadeau ou que nous ne le leur vendions. Maintenant que Dieu nous a gratifiés de l’Islam, nous a guidés et nous a accordé l’honneur et la force de l’avoir parmi nous, nous leur donnerions nos biens de notre propre gré ? Nous n’avons nul besoin de ce pacte. Nous ne leur donnerons rien d’autre que le sabre jusqu’à ce que Dieu décide entre nous.

Le Prophète répondit : « C’est à vous qu’il appartient de choisir. » Sa’d prit alors le feuillet où l’accord avait été écrit et l’effaça. Il dit : « Qu’ils fassent le pire qu’ils pourront. Nous sommes prêts à les affronter. »

Aucun accord de paix ne fut donc conclu avec personne et le siège se poursuivit sans relâche. Les musulmans se trouvaient dans une situation extrêmement difficile. L’armée des arabes païens de Quraysh et des Ghatafân fit monter la pression, occupant sans cesse les musulmans afin de permettre aux Qurayza de se préparer à combattre et d’empêcher les musulmans de lancer une attaque éclair contre les Qurayza visant à rétablir la situation qui existait avant la trahison de ces derniers.

Les Quraysh et leurs alliés étaient tellement satisfaits de l’exploit accompli par Huyay ibn Akhrab lorsqu’il avait persuadé les Qurayza de changer de camp, qu’ils étaient maintenant absolument certains d’obtenir la victoire souhaitée. Les accrochages se faisaient de plus en plus fréquents sur le front de Quraysh. Les chefs de Quraysh se livraient quotidiennement à des démonstrations de force à tour de rôle. Il faut se rappeler qu’à chaque fois que cela se produisait, les musulmans étaient totalement en alerte. Se trouvant dans une position défensive, ils devaient se préserver de toute action que leurs ennemis pourraient entreprendre.

Ils observaient chaque mouvement de l’ennemi et se tenaient prêts à toutes les éventualités. Tandis que ces démonstrations de force retenaient l’attention des musulmans pendant un certain temps, des accrochages de plus en plus intenses représentaient, eux, un danger imminent. Un engagement de ce type eut lieu lorsqu’une troupe de l’armée de Quraysh lança une attaque contre la position où se trouvait le Prophète (saws) lui-même. Ses compagnons et lui luttèrent avec acharnement pour la repousser. Les combats, très violents, se poursuivirent toute la journée et tard dans la nuit, au point que ni le Prophète ni aucun de ses compagnons ne put accomplir ce jour-là les prières obligatoires.

Tous manquèrent les trois prières de duhr, ‘asr et maghrib. Certains récits suggèrent que l’engagement dura moins longtemps et que le Prophète (saws) et ses compagnons ne manquèrent que la prière de ‘asr, qu’ils accomplirent en même temps que celle de maghrib. Toutefois, tous les récits concordent à dire que des prières furent manquées et ne purent être accomplies qu’après le coucher du soleil. Lorsque le Prophète (saws) et ses compagnons furent prêts à prier, Bilâl fit une seule fois l’appel à la prière (adhân), puis fit une annonce (iqâma) pour chaque prière.

Les Qurayza eux-mêmes participèrent à l’intensification systématique de la pression exercée sur les musulmans. Ils voulaient semble-t-il donner l’impression qu’ils étaient prêts à attaquer les musulmans à tout moment, afin de détourner leur attention et de permettre ainsi aux Quraysh de franchir plus facilement le fossé et de mettre leur plan à exécution. La situation était si critique pour les musulmans que le Prophète (saws) ne permettait pas à ses compagnons de retourner à Médine, pour quelque raison que ce fût, sans revêtir toute leur armure. C’était une précaution au cas où les Qurayza tendraient un guet-apens aux soldats musulmans.

Un soir, le Prophète (saws) fut informé que les Qurayza s’apprêtaient à lancer une attaque nocturne sur Médine et sa population civile. Ce n’était pas une simple rumeur, et le Prophète devait prendre l’information au sérieux. Il envoya deux troupes de ses compagnons garder Médine cette nuit-là. Une première troupe de deux cents hommes, sous le commandement de Salama ibn Aslam, avait pour tâche de garder un côté de la ville. L’autre troupe était encore plus importante : Zayd ibn Hâritha, à la tête de trois cents hommes, devait surveiller le reste de Médine.

Certains compagnons du Prophète (saws) ont décrit la difficulté de leur situation durant cette période en disant que la perspective que leurs femmes et leurs enfants soient attaqués par les Qurayza les inquiétait bien plus que de devoir affronter la force beaucoup plus importante des Quraysh et des Ghatafàn. C’était semble-t-il une période où chaque moment qui passait apportait de nouvelles sources d’inquiétude. Les hommes de Qurayza pouvaient facilement accéder à Médine et il semble qu’ils envoyèrent des hommes effrayer les femmes et les enfants musulmans. L’un de ces hommes fut tué par Safiyya bint ‘Abd al-Muttalib, la tante du Prophète, lorsqu’elle le vit s’approcher de façon suspecte des habitations des femmes musulmanes.

Courage et prudence

Il est intéressant de rapporter ici un incident qui illustre bien l’état d’esprit et les sentiments des musulmans durant cette période. Sa’d ibn Mu’âdh, le chef de la tribu des Aws, appartenant aux ansâr, était rentré chez lui pour quelque affaire, bien sûr avec la permission du Prophète  (saws). Quand il fut prêt à retourner rejoindre l’armée, il attendit un peu l’un de ses amis, Hamal ibn Sa’dâna, tout en déclamant : « Attendons un peu et Hamal prendra part aux combats. La mort est la bienvenue si le terme fixé est arrivé. » Sa mère, elle, le pressait de partir sans attendre.

Âïsha, l’épouse du Prophète (saws) qui a relaté cet incident, était en compagnie de la mère de Sa’d. Elle remarqua, dit-elle, que l’armure de Sa’d ne le couvrait pas aussi bien qu’elle aurait dû le faire, puisqu’elle lui laissait un bras sans aucune protection. Elle dit à sa mère : « J’aimerais que Sa’d ait une meilleure armure. » Elle craignait en effet qu’il ne soit blessé au bras. Lorsque Sa’d rejoignit l’armée ce jour-là, il prit part à l’un des accrochages qui étaient maintenant très fréquents. Il fut atteint au bras par une flèche. Sa blessure était semble-t-il très profonde. Sa’d, qui souhaitait ardemment voir l’Islam triompher en Arabie après la défaite de ses ennemis, implora Dieu en ces termes:

« Seigneur, si nous devons à nouveau affronter les Quraysh, préserve-moi pour ce combat. Il n’y a personne que je souhaite autant combattre pour Ta cause, que Ceux qui se sont opposés à Ton Messager, qui l’ont rejeté et qui l’ont chassé de chez lui. Si, par contre, Tu as décidé que ce combat entre nous serait le dernier, je T’implore, Seigneur, de me faire accéder au martyre par cette blessure, mais épargne-moi jusqu’à ce que je voie notre conflit avec les Qurayza se terminer favorablement pour l’Islam. »

La prière sincère de Sa’d illustre parfaitement les sentiments des musulmans dans leur situation périlleuse. Ils avaient pourtant fait tout ce qui était en leur pouvoir pour défendre la cause de l’Islam. Ils n’avaient pas faibli, ni laissé l’inquiétude ou la crainte guider leur comportement. Ils continuaient d’obéir au Prophète (saws), confiants que l’issue leur serait favorable tant qu’ils seraient prêts à continuer à faire de leur mieux. Ils avaient appris du Prophète (saws) que c’était tout ce que Dieu demandait à quiconque. Quand un groupe de gens fait tout ce qu’il peut pour la cause de Dieu, Dieu répond en lui accordant la victoire comme il Lui plaît.

En continuant à défendre Médine, au cours de ce conflit connu dans les livres d’Histoire comme l’expédition du Fossé ou le conflit avec les Coalisés, les musulmans accompagnant le Prophète (saws) purent faire la preuve que leurs objectifs étaient totalement désintéressés. Ils furent assiégés vingt-sept jours durant, entourés de forces hostiles menaçant de les attaquer sur deux fronts dans l’espoir d’anéantir définitivement l’iIlam. Inquiets pour leur religion, leurs familles et le Prophète (saws), ces musulmans ne pensaient pas à leur propre vie. Leur seule préoccupation était de faire en sorte que l’appel à l’Islam continue à se répandre.

Quand ils étaient attaqués, ils luttaient de toutes leurs forces. Aucun ne pensait à sa sécurité personnelle. Leurs femmes et leurs enfants les encourageaient constamment, les poussant à en faire toujours plus. Dans une telle situation, le soutien de Dieu ne fait jamais défaut. On comprend que la victoire ne fut obtenue qu’avec l’aide de Dieu, lorsqu’on se rend compte que les circonstances qui conduisirent à la victoire n’auraient pas pu être réunies à ce moment, à cet endroit et de cette manière, par une simple coïncidence.

C’était l’oeuvre de Dieu. Quand Il voulut que les musulmans récoltent le fruit de leurs efforts, Il fit qu’un homme de la tribu des Ghatafàn aille trouver le Prophète (saws). Cet homme, Nu’aym ibn Mas’ud, était semble-t-il un homme très intelligent et plein de ressources, possédant des liens et des amitiés avec toutes sortes de gens. Il dit au Prophète (saws) : « Messager de Dieu, je suis maintenant musulman et mes contribules ne le savent pas. Ordonne-moi ce que tu voudras. » Pleinement conscient que ce dont les musulmans avaient le plus besoin était de diviser les rangs ennemis, le Prophète (saws) dit à Nu’aym : « Si tu nous rejoins, nous serons un de plus. Essaie plutôt, si tu le peux, de dissuader les tiens de nous attaquer. La guerre n’est que ruse efficace. »

Nu’aym était la personne qu’il fallait pour diviser les rangs des ennemis de l’Islam. Il comptait de nombreux amis parmi les juifs de Qurayza, qui s’apprêtaient à attaquer les musulmans par-derrière. Il alla les trouver et leur dit : «Vous savez que je vous aime sincèrement et que je suis votre ami. » Ils répondirent : « Certes, nous ne doutons pas de ton amitié. » Il poursuivit alors : Les Quraysh et les Ghatafàn ne sont pas dans la même position que vous. Cette ville est la vôtre, vous y vivez avec vos femmes et vos enfants et vous y avez vos biens et vos terres. Les Quraysh et les Ghatafàn sont venus pour attaquer Muhammad et ses compagnons, et vous vous êtes joints à eux.

Mais leurs femmes, leurs enfants et leurs biens sont ailleurs. Cela les place dans une position différente de la vôtre. S’ils ont une occasion à saisir, ils ne manqueront pas de la saisir. Mais si les choses tournent mal pour eux, ils partiront certainement en vous laissant seuls affronter Muhammad chez vous. Si vous devez l’affronter seuls, vous serez dans une position d’infériorité. Je vous conseille de vous préserver de cette éventualité. Vous ne devez pas combattre aux côtés des Quraysh et des Ghatafàn sans garder certains de leurs chefs en otage, pour vous assurer qu’ils combattront avec vous jusqu’à ce que Muhammad soit vaincu.

Les Qurayza reconnurent la validité de l’argument de Nu’aym et le remercièrent pour son conseil. Quittant alors les Qurayza, Nu’aym se rendit directement au camp des Quraysh, où il rencontra le commandant, Abu Sufyân ibn Harb, et les autres chefs. Il leur dit : « Vous savez que je suis votre ami et que je ne suis pas un adepte de Muhammad. J’ai appris quelque chose dont je me sens obligé de vous faire part comme conseil, mais je vous prie de ne dire à personne que c’est moi qui vous en ai informés. »

Ayant obtenu la promesse d’Abû Sufyân, Nu’aym poursuivit : Je voudrais que vous sachiez que les Qurayza ont regretté d’avoir rompu leur traité avec Muhammad. Ils ont envoyé des messagers lui exprimer leurs regrets de ce qu’ils ont fait. Afin de prouver leur bonne volonté, ils lui ont demandé s’il serait satisfait s’ils lui donnaient à tuer un certain nombre de notables de Quraysh et de Ghatafàn. Ils lui ont aussi promis qu’ils étaient prêts à vous combattre à ses côtés jusqu’à ce que vous soyez exterminés. Il a répondu que leur offre était satisfaisante. Alors, si les Qurayza vous demandent de leur envoyer certains de vos hommes pour rester avec eux comme garantie que vous ne les abandonnerez pas, ne leur envoyez personne.

Nu’aym alla ensuite trouver les Ghatafân et dit à leurs chefs : « Vous êtes mes contribules, et je vous aime beaucoup. Je pense que je ne suis pas quelqu’un que vous soupçonneriez de vous vouloir du mal. » Quand ils l’eurent assuré de leur bonne opinion de lui, il leur dit la même chose qu’aux Quraysh et leur recommanda de n’envoyer personne aux Qurayza.

De cette manière, Nu’aym réussit à susciter la méfiance entre les trois principaux groupes de forces hostiles à l’Islam. Chaque groupe voulait être absolument sûr des intentions de l’autre. Abu Sufyân et les chefs de Ghatafàn envoyèrent aux Qurayza une délégation dirigée par ‘Ikrima ibn Abî Jahl et comprenant des représentants des deux tribus. Il se trouva que la délégation se rendit auprès d’eux le soir du sabbat. Abu Sufyân n’avait pas réfléchi au fait que les Qurayza respectaient très strictement le sabbat. La délégation dit aux Qurayza : « Ce siège nous a causé beaucoup de tort. Nous ne pouvons pas le poursuivre plus longtemps. Nous nommes fatigués, nous devons faire quelque chose. Préparez-vous, et attaquons Muhammad pour en finir avec lui et ses compagnons. »

Les Qurayza répondirent :

Vous savez certainement que c’est aujourd’hui notre jour de sabbat, où nous ne faisons rien. Autrefois, certains d’entre nous ont violé le caractère sacré de ce jour et ont été punis par Dieu, comme vous le savez. À part cela, nous ne pouvons pas combattre Muhammad à vos côtés si vous ne nous donnez pas certains de vos hommes qui resteront avec nous pour que nous soyons absolument certains que vous êtes aussi déterminés que nous à combattre Muhammad jusqu’au bout. Nous craignons que si les combats sont durs et tournent contre vous, vous ne repartiez chez vous en nous laissant affronter seuls cet homme dans notre ville, alors que nous ne sommes pas assez forts pour le combattre à nous seuls.

Quand la délégation rapporta ce message, les Quraysh et les Ghatafàn en conclurent que Nu’aym ibn Mas’ud avait certainement dit vrai. Ils envoyèrent aux Qurayza un message disant qu’ils n’étaient pas prêts à leur envoyer un seul homme. « Si vous voulez combattre, venez combattre. » En recevant ce message, les Qurayza conclurent quant à eux que Nu’aym les avait bien conseillés. Des messages furent échangés de part et d’autre, mais aucun des deux groupes n’était prêt à accepter les conditions de l’autre.

Nu’aym ibn Mas’ûd fut ainsi le moyen par lequel Dieu suscita cette division dans les rangs ennemis. Il n’y avait plus aucun risque que les musulmans soient attaqués sur deux fronts. L’armée assiégeant Médine était dans une situation pire qu’au début des hostilités. Par contre, le siège de vingt-sept jours n’avait pas affaibli les musulmans. En outre, les immenses espoirs que l’ennemi avait nourris lorsque les Qurayza avaient promis de participer activement aux combats étaient maintenant brisés : les forces assiégeantes devaient compter uniquement sur elles-mêmes.

La campagne tourne court

Hudhayfa ibn al-Yamân, un compagnon du Prophète (saws) appartenant aux ansâr, se trouvait parmi un groupe de personnes dans la ville de Kufa en Irak, de nombreuses années plus tard, quand quelqu’un de cette ville lui demanda : « Avez vous réellement connu le Messager de Dieu, et vous trouviez-vous vraiment en sa compagnie ?» Hudhayfa ayant répondu que oui, l’homme demanda : « Comment le serviez-vous ? » Hudhayfa répondit : « Nous faisions de notre mieux. » L’homme dit alors : « Si nous avions eu le bonheur d’être ses compagnons, nous ne l’aurions pas laissé marcher. Nous l’aurions porté sur nos épaules. »

Hudhayfa voulut donner à l’homme une idée de ce que c’était réellement que d’être un compagnon du Prophète (saws). Il relata l’incident suivant, qui se produisit la nuit où les Quraysh et les Ghatafàn avaient compris que leur mission se solderait par un échec total :

C’était une nuit où des vents très violents soufflaient sur les forces hostiles à l’Islam. La nuit était extrêmement sombre et glacée. Les idolâtres ne pouvaient pas allumer de feu à cause du vent et de la pluie. Ils ne pouvaient pas faire cuire de repas parce que le vent renversait leurs marmites. Leurs tentes commencèrent à s’effondrer et ils craignaient que les musulmans ne les attaquent cette nuit même. Dans cette atmosphère, ils commencèrent à songer au départ.

Dans le camp musulman, le Prophète (saws) veilla en prière une partie de la nuit. Puis il se tourna vers ses compagnons et leur demanda : « Qui veut aller voir ce que font nos ennemis et revenir ? J’implorerai Dieu de faire de celui qui se portera volontaire pour cette mission mon compagnon au Paradis. »

Bien que rien ne puisse être plus tentant pour un musulman que d’être admis au Paradis en compagnie du Prophète (saws), les conditions régnant cette nuit-là étaient loin d’être encourageantes. Hudhayfa poursuivit :

Personne ne se porta volontaire, parce que nous avions très peur et très faim en cette nuit glacée. Comme personne ne répondait, le Prophète m’appela. Je n’avais pas d’autre choix que d’y aller. Il me dit : « Hudhayfa, va dans le camp de ces gens pour voir ce qu’ils font. Ne fais rien de ta propre initiative avant de revenir. » Je m’introduisis alors dans leur camp et je vis le vent et les autres soldats de Dieu semer le désordre dans ce campement. Aucune marmite ne tenait d’aplomb, aucun feu ne restait allumé, rien ne tenait debout. Puis Abu Sufyân s’adressa à ses contribules : « Gens de Quraysh, que chacun s’assure de qui est à côté de lui. »

Je pris la main de l’homme qui était à côté de moi et je lui demandai qui il était. Il me répondit en mentionnant son nom et le nom de son père. Puis Abu Sufyân dit : « Gens de Quraysh, vous comprenez que nous ne pouvons pas rester plus longtemps. Nous avons beaucoup souffert et les juifs de Qurayza n’ont pas tenu leurs promesses envers nous. De fait, nous avons reçu des nouvelles très inquiétantes de leur attitude. Vous voyez ce que nous font ces vents violents. Nous ne pouvons plus rester dans ces conditions, et je vous conseille de faire comme moi et de rentrer chez vous. » Alors, il enfourcha son chameau, qui était attaché à un pieu. Il frappa le chameau qui se détacha en se levant brusquement.

Si le Prophète  ne m’avait pas clairement ordonné de ne rien faire de décisif avant de revenir, j’aurais tué Abu Sufyân d’une flèche.

Hudhayfa retourna apporter ces nouvelles au Prophète (saws). Il le trouva en prière et s’assit tout près de lui. Tout en poursuivant ses prières, le Prophète (saws) attira Hudhayfa contre ses jambes et le recouvrit de son manteau. Ses prières terminées, il écouta le rapport de Hudhayfa. Les Gharafân, l’autre tribu arabe païenne qui avait organisé le siège de Médine, décidèrent eux aussi de partir quand ils apprirent que les Quraysh levaient le camp.

Le matin venu, les musulmans regardèrent autour d’eux et virent que leurs ennemis étaient partis. Toutes leurs troupes avaient disparu. Pour les croyants, c’était là la preuve évidente qu’ils étaient soutenus et protégés par Dieu Lui-même. Leur foi en la véracité de Son message était maintenant bien plus ferme. Il était clair pour eux qu’il leur suffirait de s’acquitter de leur part de l’accord qu’ils avaient conclu avec Dieu, de faire de leur mieux au service de l’Islam, et que Dieu ne manquerait pas de s’acquitter de Sa promesse de leur donner toujours le dessus sur leurs ennemis.

Cet affrontement avec les ennemis de l’Islam n’était pas une bataille à strictement parler. C’était néanmoins une guerre des nerfs et une grande épreuve. Pour cette raison, les croyants réussirent l’épreuve sans difficulté tandis que les hypocrites échouèrent. L’inquiétude, la crainte et la faiblesse des hypocrites n’étaient égalées que par la persévérance, l’endurance et le courage des croyants, certains que Dieu ne tarderait pas à alléger leurs difficultés. Ayant si bien réussi l’épreuve, ils virent que Dieu, par Sa grâce, les aidait à sortir de leurs difficultés et mettait leurs ennemis en fuite.

Tout cet épisode est évoqué par Dieu Lui-même dans le Coran, dans la sourate intitulée al-Ahzâb ou « Les Coalisés ». Les versets 9 à 27 de la sourate évoquent les différents stades de ce conflit entre les musulmans et leurs ennemis et en tirent des leçons devant permettre à tous les musulmans des générations futures de suivre l’exemple de leurs prédécesseurs dans toute période de grande difficulté. Voici une traduction du verset qui parle de la conclusion de cet affrontement :

« ô vous qui croyez ! Rappelez-vous le bienfait d’Allah sur vous, quand des troupes vous sont venues et que Nous avons envoyés contre elles un vent et des troupes que vous n’avez pas vues. Allah demeure Clairvoyant sur ce que vous faites.  »

(Coran: sourate 33, verset 9)

Quand le Prophète (saws) regarda l’endroit, maintenant désert, où les ennemis de l’Islam avaient campé, il comprit que les musulmans n’avaient été sauvés que par la grâce de Dieu. Ses compagnons lurent sur son visage son immense espoir et son immense confiance en Dieu. Il les regarda et leur dit : « Maintenant, nous ne serons plus sur la défensive : ils ne nous attaqueront plus. » En toute humilité devant Dieu, le Prophète (saws) prononça ces mots que les musulmans répètent toujours, en particulier lors d’occasions heureuses : « Il n’y a pas d’autre divinité que Dieu, qui a accompli Sa promesse, accordé la victoire à Son serviteur et la dignité à Ses soldats, et qui Lui Seul a vaincu les coalisés. Nul n’était avant Lui et nul ne sera après Lui. »

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